Initials GG (mots croisés)

Nous affectionnons les grilles géantes de l’été de Gaétan Goron, verbicruciste au Nouvel Obs, après l’avoir été à Libé. Encouragé par l’enthousiasme de ses fans, il a pris le challenge d’en convoquer une douzaine chez un caviste du père Lachaise, et de construire une grille en direct, sur le thème du vin, avec eux.
Le vin a son vocabulaire, et les amateurs de mots croisés en rencontrent bien souvent sous des définitions réjouissantes.
André Deyrieux en a recensé une cinquantaine avec les définitions correspondantes de Michel Laclos, dans un article récent :Cruciverrebiste. Donnons en une : le pays du goût, en 7 lettres…
Les mots du vin sont bien plus nombreux. Martine Courtois en a dénombré plus d’un millier (les mots du vin et de l’ivresse, chez Belin),

et encore sans puiser dans l’immense lexique des noms de cépages (plus de 20000).

C’est un sujet que nous avons déjà abordé : voir les mots pour le boire, ou encore rouge-bord, un mot quasiment disparu qu’on n’entend plus guère.

On s’installe. On compte bien sur l’inspiration des canons servis généreusement par le maitre des lieux, Gaylord Van Wymeersch, qui privilégie les  « vins d’auteurs et vins d’artisans ». 
Il nous en a fait déguster quelques uns.

Celui de droite, « Mon coeur » de la cidrerie du golfe (du Morbihan), est une cofermentation de jus de pomme et de gamay. Résultats, 7° d’alcool, robe rouge clair, goût pommé évidemment, et ça pétille ! Réjouissant !
Son étiquette nous a un petit air de déjà vu (mais pas bu) : Bon sang mais c’est bien sûr, elle est sur le Bon Clos : c’est l’ouvrier ivrogne du Boulon, un ballet de Chostakhovitch, 1931 ).

Le suivant est un Mauzac de 2017, un Gaillac bien élevé nommé Zaucma du domaine des Causses Marines. Mais concentrons nous, il y a fort à faire.

On commence  par lister une bonne cinquantaine de mots qui pourront nous inspirer. 

On part sur une grille de 12 lignes et d’une dizaine de colonnes. « Gueule de bois » pour le 1 vertical, et Effervescent pour le 12 Vertical font l’unanimité.

En 1 horizontal,  quelqu’un propose « grenouille » , un cru du Chablisien. Pourquoi pas. On pourra donner une définition genre « a de la cuisse du côté de Chablis ».
Plus on avance, plus ça se complique. Heureusement, on a les cases noires, à consommer avec modération. Et jamais 2 côte à côte ! Il en faut une en (2,2), du coup on peut placer tanin, et if (accueille les cadavres en cave) !

Difficile de se rappeler dans quel ordre les mots sont placés. Longue hésitation avant d’opter pour « épépinée », en ligne 6. « Liège » trouve sa place (bouche-trou ?), « rosier » aussi ( lanceur d’alerte en tête de rangée de ceps, car première victime d’une attaque d’oïdium).

Ca commence à coincer grave. Gaylord fait déguster deux autres crus : un Sémillon du Périgord (pure S du domaine Jonc Blanc) et un assemblage Syrah Cabernet franc.
 In vino veritas ! On forme 2 groupes, espérant que la vérité jaillira de l’un ou des deux.

 Philtre finit par s’imposer (celui d’amour est sûrement alcoolisé !)
En bas de grille, pas d’autre choix que Sénégal. Ca va être difficile de trouver une définition ad hoc. Mais non : on y fait du vin depuis 2021 (le clos des baobabs –véridique)

Au bout de 2 heures, on arrive au bout. Il manque encore une lettre à côté d’un G. C’est le moment où Gaétan en plante triomphalement un deuxième : GG, ses initiales ! Il avait prévu le coup depuis le début en s’ingéniant à laisser cette case vide. Il vient marquer son terr(it)oir(e), c’est la clé de voûte, la cerise sur le gâteau…

Et voilà le travail !

Il lui restera à trouver des définitions en rapport avec le thème. On a mis quelques propositions en italique dans ce texte, mais, pour certains mots ce ne sera pas évident. Bon courage Gaétan ! Et merci d’avoir organisé cette sympathique séance.

Et merci aussi à Gaylord et sa cave des collines !

Wassail

C’est ce qu’on dit encore aujourd’hui en Angleterre pour porter un toast à l’époque de Noël. Nous avons déjà rencontré cette expression d’origine nordique qui veut dire à votre santé.

Elle a donné son nom à un breuvage que l’on boit en Angleterre à Noël et jusqu’à la nuit des rois (la 12ème nuit voire au delà), à base de cidre chaud, ou de bière, d’hydromel, d’épices, les recettes varient.

En 1913 Camille Chemin, professeur au lycée de Caen, écrivait dans un article consacré au poète Robert Herrick (1591-1674) : «   A Christmas …on boit le wassail, liqueur antique « faite d’ale, de noix muscade, de gingembre, de sucre, où l’on ajoutait des rôties de pain ou de pommes sauvages ».

L’histoire du vocable est contée par Gabe Cook, un expert en cidrologie.

ci-dessus présentant une bouteille de cidre à la reine Elizabeth

Il la fait remonter au 8ème siècle, au temps des vikings conquérants qui disaient vas heil en vieux norrois, expression qui devint wes hael en vieil anglais, formule utilisée dès lors comme formule de boisson, à quoi les anglo-saxons répondaient drinc hail ! A partir du 9ème siècle, waes hail  devient le nom du breuvage accompagnant le plus souvent ces libations.

On en saura plus en lisant l’article » Les nombreuses significations du wassail » sur The ciderologist.

La coutume du wassailing se répandit en Angleterre. Lors de la nuit des rois, les manants allaient de porte en porte, chantant et offrant à boire en échange de dons.

wassailing, une illustration de Jack et le haricot magique (the beanstalk)

Ces chants différaient d’une région à l’autre, en voici quelques uns.

wassail du Kent: wassail, drincail, to you a hearty wassail !

wassail de Gower (pays de Galles): Fal the dal, drink and be merry it’s a jolly wassail !

wassail de l’Essex : come listen to our call !

Gloucestershire Wassail

Wassail, wassail all over the town!
Our toast it is white and our ale it is brown;
Our bowl it is made of the white maple tree;
With the wassailing-bowl we’ll drink to thee!

une autre version dans un verger.

Et en effet, plus étonnant, le waissaling des arbres fruitiers (Orchard-visiting Wassail) est une coutume toujours vivante où les pratiquants vont de verger en verger boire à la santé des arbres fruitiers pour qu’ils produisent des fruits en quantité.
Ce court poème de Robert Herrick évoque cette tradition

Wassail the trees, that they may bear
You many a plum, and many a pear:
For more or less fruits they will bring,
As you do give them wassailing
.

Les pommiers à cidre faisaient l’objet d’un culte particulier :

Apple tree, apple tree, we all come to wassail thee,
Bear this year and next year to bloom and to blow,
Hat fulls, cap fulls, three cornered sack fills,
Hip, Hip, Hip, hurrah,
Holler biys, holler hurrah.

On trouvera de nombreuses paroles et chants dans ce toolkit

Un petit résumé en anglais ?

Entre Gaillac et Rabastens…

s’étend le vignoble de Gaillac, et bien au-delà.

Ce petit vignoble de près de 7000 hectares s’étend sur une région de plus de 1000 km2, jusqu’à Albi et au-delà à l’Est, Cordes/Ciel au Nord, Rabastensà l’Ouest, et s’étend encore plus au Sud sur la rive gauche du Tarn.

En ce début août, on pouvait y être facilement, « entre Gaillac et Rabastens » (expression qui signifie être pompette), tant sont bons les vins du cru que l’on pouvait déguster à loisir lors de la fête des vins qui se tenait, comme chaque année, le premier week-end d’août, au parc de Foucaud.

Une cinquantaine de domaines y faisait gouter leurs vins. Des vins jeunes pour la plupart, à l’exception du château Labastidié qui proposait ses vieux millésimes.

Nous avons particulièrement apprécié le mauzac blanc du domaine de Carcenac, ainsi que les vins Vigné-Lourac (les perles blanc, Assemblage de Mauzac, de Loin de l’Œil et de Sauvignon , de la cave Gayrel, un vin simple et savoureux servis au Buffet VIP offert par les vignerons Gaillacois) ; signalons aussi de la même maison le rond et gourmand  Le Rubis rouge, Assemblage de Braucol, de Duras, de Syrah et de Merlot.

On pourra lire là un article sur le chapitre de l’Ordre de la Dive Bouteille de Gaillac qui se tenait concomitamment. Notre ami Pierre, grand Amphitryon du Conseil des Echansons de France, y fut intronisé, entouré d’une délégation de celui-ci, ainsi que 3 autres personnalités régionales.

A Cordes/Ciel, sublime village perché à l’histoire imposante, le vin de Gaillac nous était conté : l’ancienneté de son histoire,

la diversité de ses vins,

les caractéristiques des cépages locaux

Recvenons sur l’expression « Estre entre Gaillac et Rabastens ». Guillaume Gratiolet de France Bleue Occitanie nous assure ici qu’il s’agit d’une expression occitane très ancienne, à rapprocher d’autres comme « aver un pe dins las vinhas » ou « , prener la cigala « .

« La légende raconte que cette maxime trés ancienne vient [] de Lisle-sur-Tarn on y disait que les gens ivres n’avaient pas su choisir entre les vins de Gaillac et Rabastens et avaient donc dû les déguster à plusieurs reprises. »

Il rapporte aussi :
« A Graulhet per d’aiga avèm pas set ! : (À Graulhet, pour de l’eau, nous n’avons pas soif ! )
De pan e de vin, lo rei pòt venir (Pain et vin, le roi peut venir).
Cada jorn, un còp de vin, estalvia cinc sòus del medecin, (tous les jours, un verre de vin, épargne les cinq sous du médecin.) »

et conclut :
« Nous faisons bien la différence avec Estre Sadol coma un pòrc o bandat coma una ascla être ivre mort si vous préférez et estre entre Gaillac et Rabastens, qui reste synonyme d’une légère consommation d’alcool« .
Ouf !

jardinière à Cordes sur Ciel

Rouge-bord

Voici un mot que l’on ne rencontre pas souvent, mais qui veut bien dire ce qu’il veut dire : un verre de rouge plein à ras bord. On l’écrit aussi rouge bord.

On le trouve en 1665 dans le repas ridicule de Boileau :

Un laquais effronté m’apporte un rouge-bord
D’un Auvernat (*) fameux qui, mêlé de Lignage[*],
Se vendoit chez Crenet (**) pour vin de l’Ermitage[°°°],
Et qui, rouge et vermeil, mais fade et doucereux.

(*) vins de l’Orléanais : le domaine des Bérioles revendique ce nom auvernat (on appelait ainsi le pinot noir en val de Loire) cf vignerons d’exception ; le lignage est un cépage oublié, car très sensible à l’oïdium et peu productif, que l’on replante en Val de Loire cf RVF
(**) marchand de vin qui tenait le cabaret de la Pomme de Pin, dans l’île de la Cité.
(***) celui-là on le connait !

et récidive un peu plus loin…

Cependant mon hâbleur, avec une voix haute,
Porte à mes campagnards la santé de notre hôte. 
Qui tous deux pleins de joie, en jetant un grand cri, 
Avec un rouge-bord acceptent son défi.

C’est semble-t-il, la première attestation : avant 1665, pas de texte identifié.

(cf dictionnaire étymologique Larousse, les mots du vin et de l’ivresse de Martine Courtois, ou encore L’argot du bistrot, de GIRAUD Robert où la date indiquée est erronée)

Wikisource le rapporte dans une pièce de 1710, « l’heureux naufrage », de Nicolas Barbier :

« Tu sors du cabaret, où quelques rouges-bords
T’ont sans doute inspiré ces furieux transports.
« 

On trouve aussi ce terme dans le chant d’union de la franc-maçonnerie, qui daterait de 1737.

Munis d’un rouge bord, que par trois fois un signal de nos verres Soit une preuve d’accord Nous buvons à nos Frères.

L’expression va vivre sa vie, En 1815 la voici dans « Une nuit de la Garde Nationale », vaudeville d’Eugène Scribe (Walse du Havre, le récit du caporal :je pars…)

« J’examine, Cette mine Qu’enlumine Un rouge bord ; »

(On retrouvera le même air un peu plus loin)

La voici dans les Misérables (1862) :

« le vin de Suresnes* parodie le vin d’Albe, le rouge bord** de Desaugiers fait équilibre à la grande coupe de Balatron (***); le Père-Lachaise exhale sous les pluies nocturnes les mêmes lueurs que les Esquilies****, et la fosse du pauvre achetée pour cinq ans vaut la bière de louage***** de l’Esclave.« 

* pour Horace, c’est le vin de Falerne
**mentionné dans « Tous les Vaudevilles ou chacun chez soi », de Scribe, Delestre-Poirson et Désaugiers
Air : Je pars. (Une nuit de la Garde Nationale.) mentionné plus haut
D’abord, Devant un rouge bord J’ai laissé mons Sabord Et, ses Gardes-Marine ;
***VH fait référence à la savoureuse satire d’Horace : Description d’un repas ridicule
**** cimetière des pauvres, à Rome
***** cercueil de location, voir l’Histoire des Coutumes Funéraires d’A.Carlier

Théophile Gautier aimait bien aussi ce mot, on le retrouve maintes fois dans le Capitaine Fracasse paru en 1863 :

 » Le Baron, quoiqu’il fût déjà un peu gris, ne put s’empêcher de porter à la santé des princesses un rouge-bord qui l’acheva« .

« On décréta un rouge-bord en l’honneur du chansonnier, et quand les verres furent vidés, chacun fit rubis sur l’ongle pour montrer qu’il avait bu consciencieusement sa rasade. » 

 » Pour la première fois peut-être de sa vie, quoique le vin fût bon, Blazius laissa son verre demi-plein, oubliant de boire. Certes, il fallait qu’il fût bien navré dans l’âme, car il était de ces biberons qui souhaitaient d’être enterrés sous le baril, afin que la cannelle leur dégoutte dans la bouche, et il se fût relevé du cercueil pour crier « masse » à un rouge-bord. » (chapitre VI)

«  »Dans un flacon de cristal moucheté de fleurettes d’or étincelait un vin couleur de rubis, auquel, dans un flacon pareil, faisait pendant un vin couleur de topaze. Il y avait deux couverts, et lorsque Sigognac entra, Zerbine faisait raison d’un rouge-bord au marquis de Bruyères, dont le regard flambait d’une double ivresse, car jamais la maligne soubrette n’avait été plus séduisante, et d’autre part le marquis professait cette doctrine que sans Cérès et sans Bacchus, Vénus se morfond. » (chapitre IX)

Capitaine Francasse de Théophie Gautier, édition de 1874 chez F. Polo – Illustrations Gustave Doré

Puis au chapitre XVI (avec prime une chanson bachique) :

À Bacchus, biberon insigne, 
Crions : « Masse ! » et chantons en chœur :
Vive le pur sang de la vigne
Qui sort des grappes qu’on trépigne !
Vive ce rubis en liqueur !

Nous autres prêtres de la treille, 
Du vin nous portons les couleurs.
Notre fard est dans la bouteille
Qui nous fait la trogne vermeille
Et sur le nez nous met des fleurs.

Honte à qui d’eau claire se mouille
Au lieu de boire du vin frais.
Devant les brocs qu’il s’agenouille !
Ou soit mué d’homme en grenouille
Et barbotte dans les marais !

« On décréta un rouge-bord en l’honneur du chansonnier, et quand les verres furent vidés, chacun fit rubis sur l’ongle pour montrer qu’il avait bu consciencieusement sa rasade. » (chapitre XVI)

(Au passage, on note « faire rubis sur l’ongle », cette expression qui date de la même époque et qui signifie vider son verre jusqu’à la dernière goutte, de sorte que celle-ci puisse tenir sur l’ongle sans s’écouler ; finir jusqu’à la dernière goutte ; aujourd’hui métaphore pour « payer jusqu’au dernier centime »)

Plus proche de nous, en 1932 dans la gazette bruxelloise Pourquoi Pas, on peut lire à propos du revuiste Edmond Bodart :

Bodart est simplement magnifique quand on le voit le ventre à table, la serviette au menton et la four­chette au poing, la face épanouie. Quand il lève alors un rouge-bord à la hauteur de l’œil et de la lampe, il vous fait comprendre tout ce que le culte de la Table peut apporter de secrètes béatitudes et de matérielles consolations aux pèlerins de cette vallée de larmes.

Le graphique ci-dessous, obtenu avec l’outil Ngram Viewer de Google qui permet de traquer les occurrences des mots dans la langue écrite, montre l’inexorable déclin du mot depuis les années 1950. On ne remplit plus les verres à ras bord !

Dégustation oblige…

Boire à la capucine…

c’est boire pauvrement,
Boire à la Célestine
C’est boire largement,
Boire à la Jacobine,
C’est chopine à chopine,
Mais boire en cordelier,
C’est vuider le cellier !

Cette chansonnette ancienne moque gentiment les façons des moines et religieux, grands buveurs au Treillis Vert de la rue Saint-Hyacinthe. Que est son sens, son histoire et sur quel air la chantait-on ?

Nous l’avons découverte dans Héloïse ouille !, déchirante histoire contée par Jean Teulé dont l’action se passe au 12ème siècle, ce qui semble assez anachronique, l’ordre des capucins ayant été créé au 16ème siècle.

Elles est citée par Charles Monselet, dans Gastronomie, récits de table (1874), et par le prince Pierre Dolgoroukow, dans ses Mémoires, à propos de Lestocq, un personnage étonnant rencontré à la cour de Russie… Elle figure dans la revue MELUSINE, recueil de mythologie, littérature populaire, traditions et usages, publié dans les années 1880 par H.Gaidoz et E.Rolland (tome 3 p 430), avec une variante pour le deuxième quatrain (boire à la Célestine/ c’est pinte sur chopine/ en carme et cordelier/c’est vider le cellier), impliquant les Carmes, que l’usage a oublié ; et une attestation en 1701 dans un cahier de collégien à Lyon.

Sylvie Reboul la qualifie de menuet dans son article « de la plume au verre« , paru dans Territoires du vin en décembre 2021, avec une mention de publication (« Les menuets chantants sur tous les tons », recueillis par Christophe Ballard, imprimeur du Roy, Tome 2, Paris, 1725.)où nous ne l’avons pas retrouvée.

L’air « boire à la capucine » est cité pour la recette des « fricandeaux en ragoût » dans « le Festin Joyeux ou la Cuisine en Musique« , de J. Le Bas, paru en 1739, qui invitait les dames de la Cour à cuisiner en chantant.

Et, bingo! l’air « boire à la capucine » se trouve en fin de volume :

La chanson daterait donc du 17 ème siècle ou de la fin du 16ème, comme sans doute la ronde enfantine « dansons la capucine » (que Jean Baptiste Clément connut enfant, avant d’en faire une chanson révolutionnaire).

Revenons aux capucins. Ces franciscains à capuche vivaient dans la pauvreté et ne buvaient donc guère. Ce n’était apparemment pas le cas des Célestins (bénédictins) et des Jacobins (dominicains).

franciscain cordelier

Quant aux Cordeliers, autres franciscains, c’est peu dire qu’ils avaient mauvaise réputation. On s’en convaincra en lisant quelques nouvelles de l’Heptaméron de Marguerite de Navarre (vers 1545), comme la Juste punition d’un Cordelier pour l’étrange pénitence qu’il avait voulu faire faire à une jeune Demoiselle, ou encore Comment une batelière de Coulon, près de Niort, trouva moyen d’échapper aux entreprises de deux Cordeliers. (Et quant aux Carmes, n’en parlons pas – ne disait-on pas : bander comme un carme ?)

Gonzalo de Berceo et la multiplication du vin

Ce poète du 13ème siècle, moine de son état dans la Rioja, est célébré pour son intérêt supposé pour le vin, illustré par le quatrain suivant dans sa Vida de Santo Domingo de Silos », c1236 (España).

C’est l’un des premiers à avoir écrit en « roman paladino », l’espagnol ancien.

Quiero fer una prosa en román paladino
en qual suele el pueblo fablar con so vecino,
ca non so tan letrado por fer otro latino,

bien valdrá, como creo, un vaso de bon vino.

(Je veux écrire en roman paladin, la langue du peuple, car je ne suis pas assez lettré pour le faire en latin, ça me vaudra bien, je pense, un verre de vin !)

Il pratique la cuaderna via, genre poétique constitué de strophes de 4 alexandrins de 14 pieds, mais qui sonnent comme douze compte tenu des finales non accentuées, avec une rime unique dans chaque strophe.
Un village de la Rioja, et un domaine viticole, portent son nom.

Nicolás Asensio Jiménez, de la Fundación Ramón Menéndez Pidal, s’est intéressé à la présence du vin dans ses « vies de saints » (El vino en las vidas de santos de Gonzalo de Berceo). Dans la Vida de San Millán de la Cogolla, est présenté le miracle où San Millan donne à boire à une multitude un vin inépuisable.

244. End a poccos de dias que enfermos que sanos
Cadieron grandes ientes, pueblos muy sobeianos
Por veer al sancto omne e besarli las manos,
Por qui eran nomnados los montes cogollanos.

245. Fueron desent cuytados, ca façie grant calura,
Bebrien de buen grado vino de vinna madura,
El vasallo de Christo sedie en grant pressura,
E tenie poco vino, una chica mesura.

246. Padre de los mezquinos el varon esforzado
Firme por en las cueytas del Criador amado,
Mandó que se assentasen las ientes por el prado
Que lis diessen del vino que li avie sobrado.

247. Posaronse las gentes, adussieron el vino,
Cabrielo refez mientre en un chico varquino,
Mandó el omne bueno al so architriclino
Que non desamparase nin rico nin mezquino.

248.Bendiso él los vasos con la sue sancta mano,
Ministrólis el vino el so buen escançiano,
Non ovo grant ni chico nin enfermo nin sano
Que non tenie el vino delante sobeiano
.

…….

(Il faisait très chaud, les gens étaient venus de toute part voir le saint homme, qui ne disposait que d’une petite mesure de vin, mais il bénit les verres de sa sainte main et il n’y eut grand ni petit ni malade ni sain qui n’obtint du vin)

…….
252Esta vertud tan noble, esta gracia tan maña,
qe con tan poco vino fartó tan grand compaña,
issió de la montisia, sonó por la campaña,
dizién qe nunqua nasco tal omne en España.

Il est piquant de voir plus loin le bon moine Berceo se livrer à une opération de désinformation visant à réclamer plus de dons pour son monastère, prétendant que le comte Ferran Gonzalvez et toute sa suite avaient juré de donné en chaque saison trois « pipiones » (?)

461. El cuend Ferran Gonzalvez con todos sos varones
Con bispos e abbades, alcaldes e sayones
Pusieron e iuraron de dar todas sazones
A Sant Millan cada casa de dar tres pipiones.


466. Unas tierras dan vino, en otras dan dineros,
En aguna çevera, en alguntas carneros,
Fierro traen de Alaba e cunnos de azeros,
Quesos dan en ofrendas por todos los camberos.

Berceo argumente pendant une dizaine de strophes, pour constater finalement que si l’engagement était tenu les moines auraient du pain et du vin et ne seraient pas de tristes mendiants.

479. Si estos votos fuessen leal-mente enviados,
Estos santos preçiosos serien nuestros pagados,
Avriemos pan e vino, temporales temprados,
Non seriemos commo somos de tristiçia menguados.

On peut trouver le texte complet ici
La vie de San Millan (473-574) a été rapportée par San Braulio de Zaragoza (vers 640) ,

on trouvera le résumé en espagnol

Depuis les noces de Cana, la multiplication du vin est un thème récurrent dans la miracologie chrétienne : Le Père Angel Peña cite le cas de Sainte Thérèse de Jésus et celui du curé d’Ars…

Weck, Worscht un Woi : et le jambon ?

ou encore en allemand plus classique :Brötchen, Wurst und Wein, c’est à dire : du pain, des saucisses et du vin, c’est le tiercé gagnant en pays rhénan.

WWW

C’est quasi une devise à Mayence, nous ont dit Thomas et Sibyle rencontrés loin de chez eux dans les Cévennes.

Nous sommes loin du Wein, Weib und Gesang bien connu des lecteurs du bon clos, mais l’un n’empêche pas l’autre. Il faut bien nourrir son homme !

moineWWW

Ce moine, qui tient la croix d’une main et de l’autre ce panneau aux 3 W semble bien de cet avis. Il siège sur la fontaine de Carnaval, monument de neuf mètres de haut construit dans les années 60.

Curieusement le jambon de Mayence n’évoque rien chez nos amis. Il était bien connu au temps de Rabelais qui rapporte dans Gargantua que son géniteur Grandgouzier « avoit ordinairement bonne munition de iambons de Magence et de baione« . Et de Boileau qui le met en scène dans une Satire :

Sur ce point, un jambon d’assez maigre apparence,
Arrive sous le nom de jambon de Mayence.

Mais il aurait quasiment disparu au début du 20 ème siècle. Sans être oublié de ce côté-ci du Rhin, car combien ont entonné la chanson :

« Un jambon de Mayence,
v’la qu’ça commence déjà bien,
nous allons faire bombance,
à ce festin il ne manquera rien
car j’aperçois…
deux jambons de Mayence (etc.)  » ?

(Cette chanson, inconnue de nos amis de Mayence, pourrait avoir une connotation érotique, apprend-on dans un forum du site languefrancaise.net)

Une autre chanson, elle semble-t-il bien oubliée,  mentionne aussi ce fameux jambon. On la trouve dans Romania, un livre sur les chants de quêtes, de Victor Smith (p 68), mais on peut en écouter une variante sous le titre « la jolie flamande » dans l’Anthologie de Marc Robine. Elle évoque la bien connue « aux marches du palais ». Elle commence ainsi :

Dans le palais du roi, – le long du bois, le joli mois de mai- Il y a -t-une flamande.
Y sont trois serviteurs, tous trois qui la demandent…
L’y en a un qui est boulanger, L’autre valet de chambre,
Et l’autre cordonnier, celui qui la contente…
Et plus loin
Aux quatre coins du lit, rossignolet il chante.
Chante rossignolet, tu auras ta récompense.
Tu auras pour déjeuner un jambon de Mayence.

En voici encore une, publiée en 1615 par Jacques Mangeant dans son recueil de bacchanales, où l’on entend :

« Je voudrais à déjeuner
Que d’un bon jambon parfumé
Ma table fut bien garnie
Ou de Magence ou d’Italie

 

(nous reviendrons sur ce recueil, une mine !)

Ce n’est pas tout : dans Roti-Cochon,  « Méthode tres-facile pour bien apprendre les enfans a lire en latin & en françois« , un ouvrage du 17ème siècle, on trouve ce dit :

le jambon du pourceau bien mayencé
Est bon à manger , mais pas sans boire.

Voila qui nous va bien !

bienmayence (Le même ouvrage fait aussi l’apologie du vin, « lorsqu’il est pris à propos ».

raisin

On croirait entendre Pasteur…)

On trouve aussi sur le site languefrancaise.net une intéressante contribution sur l’origine de ce jambon de Mayence, dont aucun ouvrage gastronomique germanique ne parlerait, alors que les jambons de Westphalie et de Forêt Noire y sont bien connus. Serait-ce finalement une fiction française ? Il va falloir aller voir.

 

poculer

On apprend tous les jours. Voici un mot bien rare qui signifie « boire de l’alcool » et viendrait du latin médiéval poculare (boire un coup) ou encore de l’allemand pokulieren (boire beaucoup). Les deux viendraient du latin poculum (coupe pour boire).

poculum
poculum du 6ème siècle av. J.C. Italie (Abruzze)

La France littéraire de 1832 rapporte ainsi l’éloquence poculatoire de M.de Lamartine à Mâcon, où se tenait une de ces « mangeries parlementaires pour lesquelles on sait que l’opposition a toujours eu un goût marqué ».

On parle aussi de panoplie poculatoire dans l’Ancienne Alsace à Table de 1877:

« les gobelets, les hanaps, les cruches, les canettes, ne sont que de gros verre, de grès, de bois, ou d’étain, mais que cette panoplie poculatoire est respectable et imposante par la générosité des formes et l’ampleur des dimensions ! « 

Le journal Le Temps du 21 septembre 1916 parle lui des « avantages poculatoires » des clients du Rathskeller de Kranichfeld en Thuringe, dont la grande salle était coupée en deux par la frontière de deux duchés aux régimes fiscaux distincts.

On  trouve aussi quelques traces dans la littérature, comme dans Balzac :

il poculerait donc chez le roi Louis-Philippe le matin, et banqueterait le soir à Holy-Rood chez Charles X. — (Honoré de Balzac, Le député d’Arcis, 1847))

Alors amis, poculez tant que vous voulez, mais attention aux laspus !

faire chabrot

Bien des amateurs de vin sacrifient à cette tradition, qui consiste à finir sa soupe en y rajoutant du vin, et en portant l’écuelle à la bouche généralement.

C’est une coutume du Sud de la France, on  dit  « fa chabrou » en occitan, chabrol, et encore  faire godaille en Charente, nous apprend expressio.fr. Le terme serait apparenté à chevreau (chabro) sans qu’on comprenne bien pourquoi… (Champoreau – cité dans la Passion de Joseph Pasquier, de Georges Duhamel se dit plutôt pour un mélange café alcool).

C’est une pratique fortement corrélée au port du béret ou de la casquette semble-t-il, comme on peut voir ci-dessous (en Corrèze, Ardèche, Baronnies, Cévennes et Hautes Alpes et Haute Provence).

chabrocorreze Chabrotardeche Chabrotbaronnies Chabrotcevennes Chabrothautesalpes Chabrothteprovence« Faire chabrot garde le ventre chaud« , dit-on aussi.  C’est ce qui est proclamé sur le blog du dessinateur Anthony Pascal, les dentus, qui en a dessiné toute une série (de dentus) faisant chabrot.

Les Dentus font chabrot - 01L’écrivain Paul Fournel, évoquant son grand-père, a écrit un joli poème sur ce thème (publié dans Le Bel Appétit). Gastronome, amateur de vin, Oulipien, cycliste, il a toutes qualités pour entrer dans la galerie du Bon Clos. Bienvenue !

fournel

IMG_2205Et le groupe limouso-auvergnat Icoranda limouso-auvergnat en a fait un morceau, publié dans son album « des Monédières au Mont Dore ». En voici un extrait.

Des_Monedieres_au_Mont_Dore

 

le Gaillac, vin des villes, vin des champs

Voici une très intéressante expo malheureusement terminée qui s’est tenue à Gaillac ces derniers mois.

affichedelexpoLes reporters du bon clos y ont pris quelques photos qui devraient intéresser ses lecteurs.

cartepostaleVoici ci-dessous une carte postale où apparaissent quelques paroles de l’hymne de Gaillac, la Gaillagolo, qui vante ce produit qui tant mousse, soigne maux et douleurs…

vendangesacarensacVoici les paroles en français de la gaillagolo d’ernest chalou (paroles) et jules laffont (musique), enfin sur le web !

la gaillagoloOn ne connait pas très bien l’origine du mousseux, mais Gaillac en est fier, plus fort que le champagne !

plusfortquelechampagne lou vi blanc de Gailhac pus clar que lou champagno, publié en 1920, est un « pouème » en lanque d’oc de l’abbé Alfred Massoutié.

pouemeCes affiches rappellent une époque où florissaient Ideal et Royal Gaillac.

idealgaillac

royalgaillac2Attention !royalgaillacgrandvinducoqaffichesVoici maintenant quelques dictons. Lo vin apela la cancon, crediou !

dictonset quelques expressions savoureuses :

expressionsCe panneau remémore la fête du « rey de la poda« , aujourd’hui disparue, qui rappelle les fêtes « moros y cristianos » toujours vivantes en Espagne

reydelapodaVoici encore quelques jolis tableaux  de grande taille représentant les travaux de la vigne, comme cette scène de vendanges de Raymond Tournon fils (1901-1975)

scenedevendangesdetournonraymondfilsEn voici une autre de Louis Cabanès (détail)

vendange2delouiscabanesVoici des scènes de labours et de travaux en vignes

labourtravauxdesvigneset une Bacchanale

bacchanaleEt voici un égrappoir mécanique

égrappoirun fouloir ancien

fouloir et une presse de tonnelier à voir à l’expo permanente au musée

pressedetonnelier