A la chasse aux « catches »

Les catches, ce sont ces sortes de canons souvent grivois, parfois bachiques, très en vogue en l’Angleterre dès le 16ème siècle.

Voic ce qu’en dit l’encyclopédie universalis :

Comme tous les rounds, les catches sont des pièces qui peuvent être répétées indéfiniment et dans lesquelles les différentes voix entonnent la même mélodie à la même hauteur mais en commençant à chanter avec un décalage temporel.

L’origine du terme est floue, il pourrait dériver de l’italien caccia (canon populaire en Italie dès le 14ème siècle, une voix chassant l’autre), ou encore se référer aux saisies du motif par les différentes voix qui attrapent (catch) le flux musical.

The Catch Book : 153 Catches Including the Complete Catches of Henry Purcell de Paul Hillier (1987) (ouvrage consultable à la Médiathèque musicale de Paris).

Henry Purcell en composa de nombreux, une cinquantaine, certains faisant référence au vin dans leur titre, mais bien d’autres aussi dans le texte et les partitions.

Screenshot

En voici quelques uns ((les oeuvres ont été classifiées par Franklin B. Zimmerman).

« Come let us drink » (Z 245)

Come let us drink,
’tis is vain to think
like fools on grief or sadness,
let our money fly,
and our sorrows die,
all worldly care is madness,

But wine and good cheer
will, in spite of our fear,
inspire our hearts with mirth, boys,
the time we live,
to wine let us give,
since all must turn to earth, boys,

Hand about the bowl,
the delight of my soul,
and to my hand commend it,
a fig for chink!
’twas made to buy drink,
and before we go hence we’ll spend it.

Buvons, laissons filer argent et soucis, le vin et la bonne chère inspirent nos coeurs, adonnons au vin, car tout retourne à la terre…

« Down, down with Bacchus » (1693) (Z 247)

Down, down with Bacchus,
down, down with Bacchus:
from this honor Renounce,
renounce the grape’s tyrannick pow’r;
Whilst in our large,
our large confed’rate bowl,
and mingling vertue, chear the soul.

Down with the French,
down with the French,
march on to Nantz,
For whose, for whose dear sake wee’l con’quer France;
And when, when th’inspiring cups swell high,
their hungry, hungry juice with score, with score defy.

Rouse, rouse, rouse, rouse royal boyes,
your forces joyn To rout,
to rout the Monsieur and his wine;
Then, then, then,
then the next year our bowl shall be quaff’d,
quaff’d under the vines in Burgundy.

A bas Bacchus et le pouvoir tyrannique de la grappe ! A bas les Français ! Debout ! mettons en déroute le Monsieur et son vin !

« Drink on till night be spent » (1686) (Z 248)

…and sun do shine
Did not the gods give anxious mortals wine
To wash all care and trouble from the heart ?
Why then so soon should jovial fellows part ?
Come, let’s give bumper to the next give way
Who’s sure to live and drink another day.

Buvons jusqu’au jour ce vin qui nettoie le coeur de tous les soucis, pourquoi se séparer ?

Ecouter aussi l’air à la guitare joué par Noël Akchoté

He that drinks is immortal (1686) (Z 254)

He that drinks is immortal,
and can never decay,
For wine still supplies,
what age wears away.
How can he be dust,
that moistens his clay?

(celui qui boit est immortel, le vin apporte ce que l’âge emporte)

« Bacchus is a power divine » (Z 360)
(celui-ci n’est pas un « catch« , mais un simple « song« )

Bacchus is a pow’r divine,
For he no sooner fills my head
With mighty wine,
But all my cares resign,
And droop, then sink down dead.

Then the pleasing thoughts begin,
And I in riches flow,
At least I fancy so.

And without thought of want I sign,
Stretch’d on the earth, my head all around
With flowers weav’d into a garland crown’d.
Then I begin to live,
And scorn what all the world can show or give.

Let the brave fools that fondly think
Of honour, and delight,
To make a noise and fight
Go seek out war, whilst I seek peace and drink.

Then fill my glass, fill it high,
Some perhaps think it fit to fall and die,
But when the bottles rang’d to make war with me,
The fighting fool shall see, when I am sunk,
The diff’rence to lie dead, and lie dead drunk.

                      

« Once in our lives let us drink to our wives » (1686) (Z 264)

Buvons à nos femmes… Une interprétation feminine, pourquoi pas ?

Et une singulière interprétation, dramatique, de ce catch humoristique par le poète russe Mikhail Chtcherbakov.

Михаил Щербаков ♫ Once In Our Lifes (Purcell)YouTube·DoctorBoogie·14 juin 2012

Once in our lives,
Let us drink to our Wives,
Though their numbers be but small;
Heaven take the best,
And the Devil take the rest
And so we shall get rid of them all:
To this hearty wish,
Let each man take his dish,
And drink, drink till he falls!

« Great Apollo and Bacchus » (Z 251)

Great Apollo and Bacchus one night did dispute…
( les suiveurs qu’Apollon adorent aussi Bacchus !)

« I gave her cakes and I gave her ale » (1690) Z 256

Celui-là parle de bière et de sherry, et de baisers…

« Let us drink to the blades » (1691) Z 259
Buvons à nos lames (au siège de Limerick en 1691)

« Now, now we are met and humours agree » (1688) Z 262

Now now we are met and humours agree, Call, call for wine and lose no time, but let’s merry be ; Fill, fill it about, to me let it come, Fill the glass to the top  : I’ll drink every drop supernaculum *
A health to the King, round, round, let it pass, Fill it up and then drink it off like men, never balk your glass

  • to the last drop  —used chiefly in the phrase to drink supernaculum

A la santé du Roi, faites passer, remplissez et buvons comme des hommes…sans jamais refuser un verre…

Sum up  all the delights Z275
« A solid enjoyment of bottles and friend …
 None like wine and true friendship are lasting and pure …

Then fill up the glasses until they run o’er Friend and good wine are the charms we adore »
(l’amitié et le vin sont les seuls délices qui durent… alors remplissons nos verres°

Et voici pour finir quelques Catches d’autres auteurs trouvés dans « The Catch Book »
(le nombre entre parenthèses correspond au classement du Catch Book)

John Hilton 1599-1657

British (English) School; John Hilton; Faculty of Music and Bate Collection of Musical Instruments; http://www.artuk.org/artworks/john-hilton-221319

(1) ->Call George again, boy, And for the love of Bacchus, call George again
George is a good boy and draws us good wine,
Then fills us more claret our wits to refine…

(10) -> drink or dy, doctor tell what will make a sick man well ?

John Eccles (1668-1735)


(41) -> Brisk man never made a mortal stupid
Drink, drink, drink… while sober sots look pale, Condemned to claps ans soggy ale…

Anonymouc (Purcell ??)
(116) -> Say good Master Bacchus a stride on your butt
Since our Champagne’s all gone and our claret ‘run out
Which of all the brisk wines in your empire that grow will serve to delight your poor drunkards below?
Resolve us grave sir and soon send it over lest we dye of the sin of being sober..

Lord Mornington (1735-1781)

(153) -> See the bowl sparkles with wine
Endless pleasure we press from the vine…

les chansons de Boileau

Décidément, ce poète est présent dans nos colonnes. Nous citions il y peu son repas ridicule, à propos de l’expression « rouge-bord », et plus anciennement une chanson à boire, écrite à 17 ans, « au sortir de mon cours de philosophie« .

Philosophes rêveurs, qui pensez tout savoir,
Ennemis de Bacchus, rentrez dans le devoir:
Vos esprits s’en font trop accroire.
Allez, vieux fous, allez apprendre à boire.
On est savant quand on boit bien:
Qui ne sait boire ne sait rien.

S’il faut rire ou chanter au milieu d’un festin,
Un docteur est alors au bout de son latin:
Un goinfre en a toute la gloire.
Allez, vieux fous, allez apprendre à boire.
On est savant quand on boit bien:
Qui ne sait boire ne sait rien.

Cette « chanson à boire du bon vieux temps » a été mise en musique « à l’ancienne » par Camille Saint-Saëns en 1885 (voir la partition ici)

Boileau en a écrit deux autres, dont on ne connait pas de musique…

Chanson A Boire II (vers 1653-56)

Soupirez jour et nuit sans manger et sans boire;
Ne songez qu’à souffrir;
Aimez, aimez vos maux, et mettez votre gloire
À n’en jamais guérir.
Cependant nous rirons
Avecque la bouteille,
Et dessous la treille
Nous la chérirons.

Si sans vous soulager une aimable cruelle
Vous retient en prison,
Allez aux durs rochers, aussi sensibles qu’elle,
En demander raison.
Cependant nous rirons
Avecque la bouteille,
Et dessous la treille
Nous la chérirons.

Chanson à boire III (1672)

Celle-là demande quelques explications : le château de Basville, sur l’actuelle commune de Saint-Chéron dans l’Essonne, appartenait à Guillaume Ier de Lamoignon, marquis de Basville, magistrat français, premier président du Parlement de Paris, nommé par Mazarin. Il y recevait ses amis gens de lettres, notamment Boileau avec qui il était très lié. Arbouville, un de ses parents. On devait bien boire à sa table !
Bourdaloue (à Paris) et Escobar (à Valladolid) étaient des prédicateurs de renom. Le second jugé laxiste eut ses oeuvres condamnées par le pape Innocent XI.

Que Bâville me semble aimable, 
Quand des magistrats le plus grand 
Permet que Bacchus à sa table 
Soit notre premier président! 
Trois muses, en habit de ville, 
Y président à ses côtés: 
Et ses arrêts par Arbouville 
Sont à plein verre exécutés. 
Si Bourdaloue un peu sévère 
Nous dit, Craignez la volupté; 
Escobar, lui dit-on, mon Père, 
Nous la permet pour la santé. 
Contre ce docteur authentique 
Si du jeûne il prend l’intérêt, 
Bacchus le déclare hérétique, 
Et janséniste, qui pis est.

Terminons cet article avec une chanson anonyme du 18ème siècle, mise en musique par Erick Satie dans son recueil de chansons (1920) :

C’est mon trésor, c’est mon bijou,
Le joli trou par où
Ma vigueur se réveille…
Oui, je suis fou, fou, fou,
Du trou de ma bouteille.

Quel coquin ce Satie !

Basse bouffe

Dans l »univers lyrique, on appelle ainsi une voix de basse spécialisée dans les emplois comiques. Nous en avons récemment rencontré un beau spécimen lors d’un concert où, aux côtés de Lionel Muzin et d’Isabelle Philippe, il tenait le rôle de Vertigo dans Pepito, de Jacques Offenbach. Il s’agit de Rémi-Charles Caufman.

Nous avons déjà parlé de Pepito, mais nous ne résistons pas au plaisir d’en réécouter 2 airs à boire.

Bruit charmant  Doux à mon oreille Pan, pan, pan !
Bruit charmant Du bouchon sautant ! Pan, pan, pan !
Gardien de la liqueur vermeille, Mon pouce aidant, Ouvre-lui vite la bouteille En t’échappant !
Lorsque du bouchon le fil se rompant, Le liège libre, enfin s’échappant
S’élance dans l’air et va le frappant, Répétons en chœur son joyeux pan pan !

Bruit plus doux Du nectar qui coule ! Gloux, gloux, gloux !…
Bruit plus doux, Tu sais plaire à tous ! Gloux, gloux, gloux !
De la rouge et vineuse houle Refrain si doux, Tu rendrais l’oiseau qui roucoule De toi jaloux !
Lorsque du nectar les flots en courroux Jettent à l’oreille leur refrain si doux,
Les bras enlacés, nous rapprochant tous, Répétons en chœur les joyeux gloux gloux !


Celui-là nous avait échappé. Trinquons ! moment agréable ! Buvons ! Quel vin délectable !

Rémi-Charles Caufman, né dans un environnement polyglotte et multi-instrumentiste, a déjà une belle carrière derrière lui. Voici quelques illustrations du talent de notre homme.

et d’abord dans la chanson à boire de Francis Poulenc (1922) que les lecteurs historiques du bon clos ont déjà rencontré.

Les rois d’Egypte et de Syrie,  Voulaient qu’on embaumât leurs corps, Pour durer plus longtemps morts.
Quelle folie! Buvons donc selon notre envie, Il faut boire et reboire encore.
Buvons donc toute notre vie, Embaumons-nous avant la mort.Embaumons-nous;  Que ce baume est doux. 

Le voici aussi dans la jolie fille de Perth, de Georges Bizet (1867). (la partition est )
Quand la flamme de l’amour brûle l’âme nuit et jour, pour l’éteindre quelquefois sans me plaindre moi je bois je ris je chante, je ris je chante et je bois….

(Il y a un autre air à boire dans la jolie fille de Perth qu’on pourra écouter )

Le voila encore dans les joyeuses commères de Windsor (Die lustigen Weiber von Windsor) d’Otto Nicolaï (1846) : Als Büblein klein an der Mutterbrust (la partoche est ) :Trinken ist keine Schand, Bacchus trank auch, Ja !

On terminera avec l’air de don Magnifico, dans la Cenerentola de Rossini (1817). Ce n’est pas exactement un air à boire, plutôt un air de griserie : Don Magnifico, père de Cendrillon, nommé « sommelier… surintendant des verres, aux pouvoirs illimités… président des vendanges, directeur des libations », pour avoir « goûté à trente barriques » et « bu comme quatre » veut faire afficher dans toute la ville :  » l’ordre suivant : ne plus verser, pendant quinze ans, une seule goutte d’eau dans le vin… » pour conclure : « J’offre une prime de seize piastres à qui boira le plus de Malaga ».

Merci Rémi-Charles, continuez à nous griser !

Rouge-bord

Voici un mot que l’on ne rencontre pas souvent, mais qui veut bien dire ce qu’il veut dire : un verre de rouge plein à ras bord. On l’écrit aussi rouge bord.

On le trouve en 1665 dans le repas ridicule de Boileau :

Un laquais effronté m’apporte un rouge-bord
D’un Auvernat (*) fameux qui, mêlé de Lignage[*],
Se vendoit chez Crenet (**) pour vin de l’Ermitage[°°°],
Et qui, rouge et vermeil, mais fade et doucereux.

(*) vins de l’Orléanais : le domaine des Bérioles revendique ce nom auvernat (on appelait ainsi le pinot noir en val de Loire) cf vignerons d’exception ; le lignage est un cépage oublié, car très sensible à l’oïdium et peu productif, que l’on replante en Val de Loire cf RVF
(**) marchand de vin qui tenait le cabaret de la Pomme de Pin, dans l’île de la Cité.
(***) celui-là on le connait !

et récidive un peu plus loin…

Cependant mon hâbleur, avec une voix haute,
Porte à mes campagnards la santé de notre hôte. 
Qui tous deux pleins de joie, en jetant un grand cri, 
Avec un rouge-bord acceptent son défi.

C’est semble-t-il, la première attestation : avant 1665, pas de texte identifié.

(cf dictionnaire étymologique Larousse, les mots du vin et de l’ivresse de Martine Courtois, ou encore L’argot du bistrot, de GIRAUD Robert où la date indiquée est erronée)

Wikisource le rapporte dans une pièce de 1710, « l’heureux naufrage », de Nicolas Barbier :

« Tu sors du cabaret, où quelques rouges-bords
T’ont sans doute inspiré ces furieux transports.
« 

On trouve aussi ce terme dans le chant d’union de la franc-maçonnerie, qui daterait de 1737.

Munis d’un rouge bord, que par trois fois un signal de nos verres Soit une preuve d’accord Nous buvons à nos Frères.

L’expression va vivre sa vie, En 1815 la voici dans « Une nuit de la Garde Nationale », vaudeville d’Eugène Scribe (Walse du Havre, le récit du caporal :je pars…)

« J’examine, Cette mine Qu’enlumine Un rouge bord ; »

(On retrouvera le même air un peu plus loin)

La voici dans les Misérables (1862) :

« le vin de Suresnes* parodie le vin d’Albe, le rouge bord** de Desaugiers fait équilibre à la grande coupe de Balatron (***); le Père-Lachaise exhale sous les pluies nocturnes les mêmes lueurs que les Esquilies****, et la fosse du pauvre achetée pour cinq ans vaut la bière de louage***** de l’Esclave.« 

* pour Horace, c’est le vin de Falerne
**mentionné dans « Tous les Vaudevilles ou chacun chez soi », de Scribe, Delestre-Poirson et Désaugiers
Air : Je pars. (Une nuit de la Garde Nationale.) mentionné plus haut
D’abord, Devant un rouge bord J’ai laissé mons Sabord Et, ses Gardes-Marine ;
***VH fait référence à la savoureuse satire d’Horace : Description d’un repas ridicule
**** cimetière des pauvres, à Rome
***** cercueil de location, voir l’Histoire des Coutumes Funéraires d’A.Carlier

Théophile Gautier aimait bien aussi ce mot, on le retrouve maintes fois dans le Capitaine Fracasse paru en 1863 :

 » Le Baron, quoiqu’il fût déjà un peu gris, ne put s’empêcher de porter à la santé des princesses un rouge-bord qui l’acheva« .

« On décréta un rouge-bord en l’honneur du chansonnier, et quand les verres furent vidés, chacun fit rubis sur l’ongle pour montrer qu’il avait bu consciencieusement sa rasade. » 

 » Pour la première fois peut-être de sa vie, quoique le vin fût bon, Blazius laissa son verre demi-plein, oubliant de boire. Certes, il fallait qu’il fût bien navré dans l’âme, car il était de ces biberons qui souhaitaient d’être enterrés sous le baril, afin que la cannelle leur dégoutte dans la bouche, et il se fût relevé du cercueil pour crier « masse » à un rouge-bord. » (chapitre VI)

«  »Dans un flacon de cristal moucheté de fleurettes d’or étincelait un vin couleur de rubis, auquel, dans un flacon pareil, faisait pendant un vin couleur de topaze. Il y avait deux couverts, et lorsque Sigognac entra, Zerbine faisait raison d’un rouge-bord au marquis de Bruyères, dont le regard flambait d’une double ivresse, car jamais la maligne soubrette n’avait été plus séduisante, et d’autre part le marquis professait cette doctrine que sans Cérès et sans Bacchus, Vénus se morfond. » (chapitre IX)

Capitaine Francasse de Théophie Gautier, édition de 1874 chez F. Polo – Illustrations Gustave Doré

Puis au chapitre XVI (avec prime une chanson bachique) :

À Bacchus, biberon insigne, 
Crions : « Masse ! » et chantons en chœur :
Vive le pur sang de la vigne
Qui sort des grappes qu’on trépigne !
Vive ce rubis en liqueur !

Nous autres prêtres de la treille, 
Du vin nous portons les couleurs.
Notre fard est dans la bouteille
Qui nous fait la trogne vermeille
Et sur le nez nous met des fleurs.

Honte à qui d’eau claire se mouille
Au lieu de boire du vin frais.
Devant les brocs qu’il s’agenouille !
Ou soit mué d’homme en grenouille
Et barbotte dans les marais !

« On décréta un rouge-bord en l’honneur du chansonnier, et quand les verres furent vidés, chacun fit rubis sur l’ongle pour montrer qu’il avait bu consciencieusement sa rasade. » (chapitre XVI)

(Au passage, on note « faire rubis sur l’ongle », cette expression qui date de la même époque et qui signifie vider son verre jusqu’à la dernière goutte, de sorte que celle-ci puisse tenir sur l’ongle sans s’écouler ; finir jusqu’à la dernière goutte ; aujourd’hui métaphore pour « payer jusqu’au dernier centime »)

Plus proche de nous, en 1932 dans la gazette bruxelloise Pourquoi Pas, on peut lire à propos du revuiste Edmond Bodart :

Bodart est simplement magnifique quand on le voit le ventre à table, la serviette au menton et la four­chette au poing, la face épanouie. Quand il lève alors un rouge-bord à la hauteur de l’œil et de la lampe, il vous fait comprendre tout ce que le culte de la Table peut apporter de secrètes béatitudes et de matérielles consolations aux pèlerins de cette vallée de larmes.

Le graphique ci-dessous, obtenu avec l’outil Ngram Viewer de Google qui permet de traquer les occurrences des mots dans la langue écrite, montre l’inexorable déclin du mot depuis les années 1950. On ne remplit plus les verres à ras bord !

Dégustation oblige…

Paris célèbre ses bistrots

Gloire à nos bistrots ! Ces lieux sont les « symboles de l’art de vivre parisien par excellence !». 

Ce vendredi 15 mars, 62 bistrots ont reçu la Grande Médaille de Vermeil de la Ville de Paris à l’Hôtel de Ville, accueillis par la Maire de Paris, Anne Hidalgo entourée de son adjoint au commerce/artisanat et de quelques maires-adjoints, aux côtés d’Alain Fontaine, président de l’Association Française des Maîtres Restaurateurs (AFMR) et de l’Association pour la reconnaissance de l’art de vivre dans les bistrots et cafés de France en tant que patrimoine culturel immatériel

C’est un comité de huit personnes, clients des bistrots et adhérents de l’Association pour la reconnaissance de l’art de vivre dans les bistrots et cafés de France en tant que patrimoine culturel immatériel, qui a choisi ces 62 bistrots, qui doivent offrir un service au comptoir (café, boisson et nourriture), être ouvert en continu, proposer des prix modérés et ne pas appartenir à une chaîne.

Certains, comme Sébastien Mayol d’Oh ! Vin Dieu !, ou Stéphane Reynaud, de Oui mon Général  ont eu un franc succès, ou alors c’est qu’ils étaient venus avec une claque, on peut quasiment parler d’ovation debout quand ils sont allé retirer leur diplôme.

On n’a pas été surpris de retrouver parmi les lauréats Jean-Philippe Le Coat, du rendez-vous des sportifs (chez Walczak), et dans le public, Gérard Letailleur, conseiller de la République de Montmartre pour les bistrots, Bruno Carlhian, auteur de la Tournée des patrons, dont nous avons parlé, ainsi que  les Francs-Mâchons de Paris, venus en masse (la claque ?)…

Tout ce petit monde s’est retrouvé au buffet, servi généreusement dans les beaux salons de l’Hotel de Ville.

C’est le 18ème arrondissement qui est sorti vainqueur de cette sélection, avec 9 bistrots, parmi lesquels le Gamin des Paris de Didier Royant, une figure, qui a fait forte impression !

Voir sur le site de la mairie de Paris, la liste des lauréats classés par arrondissement.

Mais ce n’est pas fini. On parlera des bistrots toute la semaine avec un cycle de conférences où l’on retrouvera nos écrivains bistrologues pour finir en beauté avec la course des garçons de café (2km autour de l’Hôtel de Ville, dimanche 24 mars).

La chute des feuilles

On a pu voir au cinéma le Balzac, aux Champs-Elysées, dans le cadre du festival du cinéma russe de Paris et Ile de France

ce vieux  film d’Otar Iosseliani qui date de 1966.

Il a obtenu à l’époque le Prix Georges Sadoul du Meilleur Premier film 1968, et le Prix FIPRESCI (prix de la critique internationale) au Festival de Cannes en 1968.

Certes ce film géorgien n’est pas russe, mais il procède de cette culture au temps de l’URSS, et avait, pour les organisateurs, toute sa place dans ce festival dédié par ailleurs à Alexeï Navalny.

Ce film raconte l’histoire de l’entrée en profession, dans une coopérative viticole, d’un jeune diplômé en oenologie.

Il nous plonge dans la Géorgie viticole des années 60, de la vendange à l’ancienne, de l’amour du vin et des chants,  des modes de production « socialistes », du culte du dépassement du plan  au risque de dégrader la qualité.

Il donne aussi une leçon de courage : c’est en s’opposant et en créant l’irréparable pour le bien commun (le jeune oenologue prend la responsabilité, malgré l’interdiction du directeur, de clarifier un vin imbuvable au risque de retarder la mise en bouteilles), que l’on gagne le respect !

Un film donc drôle, charmant, instructif, édifiant au bon sens du terme, que l’on peut trouver sur le site universcine.com

Ce film était précédé d’un court-métrage désopilant, le Ministères des Excuses de Russie (Mir
мир / Guram Narmaniia / 2022
).

Ca se passe en Géorgie, au temps de ‘l’URSS semble-t-il. . Un jeune homme est sommé de s’excuser, il a confondu khinkali et pelmeni !

En voici une scène d’agapes, sous un tableau de Pirosmani, après la réparation.

L’autre « Brindisi »

En 1845, bien avant la Traviata (créée en 1853) et son Brindisi fameux, Verdi avait composé une romance portant ce titre, sur un poème d’Andrea Maffei.

Merci au chanteur Remi Charles Caufman,

que nous avons vu récemment sublimer le rôle de Vertigo dans le Pépito d’Offenbach, qui nous en a informé.

Mescetemi il vino! Tu solo, o bicchiero,
Fra gaudi terreni non sei menzognero,
Tu, vita de’ sensi, letizia del cor.
Amai; m’infiammaro due sguardi fatali;
Credei l’amicizia fanciulla senz’ali,
Follia de’ prim’anni, fantasma illusor.

Mescetemi il vino, letizia del cor.

L’amico, l’amante col tempo ne fugge,
Ma tu non paventi chi tutto distrugge:
L’età non t’offende, t’accresce virtù.
Sfiorito l’aprile, cadute le rose,
Tu sei che n’allegri le cure noiose:
Sei tu che ne torni la gioia che fu.

Mescetemi il vino, letizia del cor.

Chi meglio risana del cor le ferite?
Se te non ci desse la provvida vite,
Sarebbe immortale l’umano dolor.
Mescetemi il vino! Tu sol, o bicchiero,
Fra gaudi terreni non sei menzognero,
Tu, vita de’ sensi, letizia del cor.

(voir la traduction en français par Guy Lafaille en fin d’article)

Voici la version de Klara Takacs

Et voici une version masculine, avec le tenor Marco Baratta

Toast

Versez-moi du vin ! Toi seul, ô verre,
Parmi tous les plaisirs terrestres n'est pas un mensonge,
Toi, la vie des sens, la joie du cœur.
J'ai aimé ; deux regards fatals m'ont enflammé,
J'ai cru à l'amitié d'une jeune fille sans ailes,
Folie de jeunesse, fantasme illusoire.

Versez-moi du vin, la joie du cœur.

L'ami, l'amant fuira avec le temps,
Mais tu n'as pas peur ce qui détruit tout :
L'âge ne t'offense pas, il accroît ton courage.
Avril s'est fané, les roses sont tombées,
Tu es celui qui éclaire les soucis ennuyeux,
C'est toi qui ramènes la joie qui fut.

Versez-moi du vin, la joie du cœur.

Qui mieux que toi peut soigner le cœur de ses blessures ?
Si tu ne nous avais pas donné la vigne prévoyante,
La douleur humaine serait immortelle.
Versez-moi du vin ! Toi seul, ô verre,
Parmi tous les plaisirs terrestres n'est pas un mensonge,
Toi, la vie des sens, la joie du cœur.

Les lauréats des Francs-Mâchons de Paris

Nous croisons régulièrement ces bons vivants, qui se retrouvent une fois par mois dès potron-minet pour partager un traditionnel mâchon lyonnais, avec force charcuterie et beaujolais, dans des bistrots parisiens.

A l’issue de ces ripailles, chaque établissement est noté par chaque participant : accueil, vin blanc, plat, vin rouge, fromage… Les meilleurs sont récompensés.

Ce mercredi 6 mars, 17h, c’était l’heure du verdict, rendu aux Noces de Jeannette, restaurant historique tenu par Patrick et Luc Fracheboud (multidiplômés !). Voici les lauréats :

Denis Musset Le P’tit Musset, 132 rue Cardinet, 75017 Paris

Théophile Moles – Au Moulin à Vent, 46 rue des Fossés Saint-Bernard, 75005 Paris

Patrick François – La Part des anges, 10 rue Garreau, 75018 Paris

Paule et Robert Federici – Le Vieux Chalet, 14b rue Norvins, 75018 Paris

Romain Vidal – Le Sully, 6 boulevard Henri IV, 75004 Paris

Georges-Etienne Jojot – Le Louchébem, 31 rue Berger, 75001 Paris

Sébastien Mayol – Oh vin dieu !, 19 rue Treilhard, 75008 Paris

Arnaud Pauget, Félix Long et Waël El Houseini – L’indé, 125 rue de Charenton, 75012 Paris

Valérie et Pascal Carrié – Le Paris-Italie, 75013 Paris

Christine Piron et William Niamiah – Le Bistrot Blériot, 75016

Thomas Canivet – Le Petit Baigneur, 10 rue de la Sablière, 75014 Paris

Elodie Charras et Loïc Ballet – L’Epicerie de Loïc B., 7 rue Sedaine, 75011 Paris

Laurent Nègre – La Grille Montorgueil, 75002 Paris

Beaucoup de travail donc en perspective pour les amateurs.

Il a bien fallu trinquer à la santé des lauréats. Mais les tenanciers savent recevoir, avec des Saint-Pourçain du domaine Grosbot-Barbara, comme ce vin d’alon 2022, assemblage de Chardonnay et Tressallier « parfait équilibre entre fraîcheur et rondeur » , accompagnés de charcutailles comme il se doit. Merci !

Plus d’un a été surpris par le Churelurez ! (nous avons déjà rencontré ce mot) du domaine Antocyâme, un vin naturel venu des Côteaux et Terrasses de Montauban, obtenu par macération carbonique de cépages variés, qui fait étonnament penser à un cidre ! Spécial!

En bonus, on apprit de la bouche d’Alain Fontaine, restaurateur, président de l’Association française des maîtres restaurateurs, qu’une cérémonie « Paris célèbre ses bistrots » allait se tenir dans quelques jours à l’ Hôtel de Ville de Paris. A bon entendeur !

Paganini

On donnait le week-end dernier à l’Odeon de Marseille l’opérette de Franz Lehar qui porte ce nom, créée en 1925 à Vienne.
Dans sa  version française d’André Rivoire, Dieu merci, l’original dû à Paul Knebel et Bela Jenbach étant en allemand.

L’oeuvre rend hommage au violoniste virtuose et compositeur Niccolo Paganini, qui vécut à l’époque napoléonienne. 

Niccolò Paganini par Ingres en 1819

L’action se situe à Lucques où la princesse Elisa (soeur de Napoléon, incarnée par la soprano Perrine Madoeuf) s’éprend de lui. 

la princesse Elisa par Marie-Guilhelmine Benoist en 1805

Après maintes péripéties et autres bouffonneries (avec notamment l’impayable Fabrice Todaro en Pimpinelli) il la laissera finalement pour se consacrer à son destin d’artiste.

On n’a pas été étonné de retrouver dans la distribution l’ami Dominique Desmons, un habitué de Bruniquel, et de le voir animer, au 3ème acte, avec l’excellent Philippe Boulanger, une belle scène de taverne au cabaret du fer à cheval rouillé, où des contrebandiers voient arriver Paganini en fuite et entonnent « Quand on n’a plus un sou vaillant« .

En voici une petite video pirate, plus facile à suivre avec les paroles.

Sitôt qu’on a quelque chagrin
Il est un remède souverain

Répondez tous, tous à la fois
Bois bois bois
Un petit verre bien rempli
D’un vieil alcool un peu pâli
Et tout de suite c’est l’oubli!

Quand on n’a plus un sou vaillant
Que le prêteur est défaillant
Te voilà bien 
Seul comme un chien

Ou ta maîtresse aveuglément
A-t-elle pris un autre amant
Vas tu rester
A regretter ?

Répondez tous, tous à la fois …

Quand ici bas tout meurt en nous
Puisque nos rêves les plus doux
Sont trop souvent 
Fumée au vent

Puisque notre coeur vagabond
Toujours demande : A quoi bon ?
Comment guérir 
De tant souffrir ?

Répondez tous, tous à la fois …

Il n’est pas facile de trouver un enregistrement de la version française ; en voici un,  filmé au théâtre municipal de Tourcoing le samedi 9 janvier 1988.

Et voici la partoche de « Quand on n’a plus un sou vaillant » !

La version originale en allemand est plus facile à trouver. C’est le Schnapslied: « Wenn man das letzte Geld verlumpt ». En voici un enregistrement avec Rudolf Schock & Karl Ernst Mercker

Peut-on trinquer sans boire ?

Lever son verre, sa coupe pour festoyer, célébrer un événement, honorer un hôte, s’apprêter à combattre. Voilà une coutume ancienne, dont il est d’antiques témoignages, comme l’étendard d’Ur  (27ème siècle avant notre ère).

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Ce petit coffre sumérien en bois ouvragé présente sur un côté une scène de banquet où  les convives, assis sur des tabourets, un gobelet à la main, font face au souverain…

 Trinquer, c’est autre chose.

On connait l’origine de cette coutume : ce serait par défiance, pour se garder d’un éventuel poison, que l’on trinquait coupe contre coupe, mêlant ainsi les breuvages.

Cette coutume est devenue avec le temps un symbole de confiance et d’amitié. 

Le chansonnier Béranger ne disait-il pas  :  

L’amitié, qui trinque pour boire,  Boit bien plus encore pour trinquer !

(lire aussi l’article « Santé ! Tchin tchin… » dans le Ganymède de décembre 2023 du Conseil des Echansons de France

Mais trinquer sans boire, est-ce possible ?

Cette petite video publiée sur FB en témoigne.
Les mauvaises langues diront que c’est par manque de confiance. Que s’est-il passé depuis le sommet de 2019 ?

Etonnant, non ?