Pochard, cet adjectif et aussi substantif est apparu semble-t-il au début du 19ème siècle. Dérivant de poche, il renvoie à sac, sac à vin, et signifie donc ivrogne, poivrot…
C’est un conte drolatique, Vert Vert oules voyages du perroquet de la visitation de Nevers, poème héroïque publié en 1734 par Jean-Baptiste Gresset, dont le héros est un perroquet. Il fit grand bruit à l’époque, et eut une nombreuse descendance au théâtre, à l’opéra-comique mais aussi en peinture, et jusque dans des performances et expositions d’art contemporain (on parlera en fin d’article d’ Oral Texte)..
C’est l’opéra-comique d’Offenbach monté en 1869 qui nous intéresse ici, car il recèle un sympathique air à boire…
Mais racontons d’abord l’histoire : Vert Vert, perroquet ramené d’Amérique, est la mascotte d’un couvent de Visitandines à Nevers, tant il est prolixe en prières et paroles d’Evangile. Il parle latin!
Mais, requis par un autre couvent, à Nantes, il est embarqué sur un bateau qui descend la Loire. Durant le long voyage, aux côtés de « deux nymphes, trois dragons, une nourrice, un moine, deux gascons », c’est à un tout autre langage qu’il est confronté :
car, les dragons, race assez peu dévote, ne parloient là que langue de gargotte ; charmant au mieux les ennuis du chemin, ils ne fêtoient que le patron du vin ; puis les gascons et les trois peronelles y concertoient sur des tons de ruelles : de leur côté, les bateliers juroient, rimoient en Dieu, blasphémoient et sacroient.
On imagine la suite : Vert perd son latin et ne fait que jurer, grand scandale au couvent ; on le renvoie à Nevers, où on l’attend pour le juger. Le voilà encagé, privé de tout. Le châtiment fait son effet :
Couvert de honte, instruit par l’infortune… …l’oiseau contrit se reconnut enfin : il oublia les dragons et le moine ; et pleinement remis à l’unisson avec nos sœurs, pour l’air et pour le ton, il redevint plus dévot qu’un chanoine.
Las. Le retour à la vie de plaisirs va lui être fatale :
Du sein des maux d’une longue diette, passant trop-tôt dans des flots de douceurs, bourré de sucre, et brûlé de liqueurs, Ver-Vert, tombant sur un tas de dragées, en noirs cyprès vit ses roses changées.
Vert Vert meurt, et c’est là qu’Offenbach a choisi de faire commencer son histoire.
Son Vert Vert est un jeune homme, neveu de la directrice du couvent où vient de mourir le perroquet. Peut-être sa réincarnation ? On ne racontera pas l’argument en détail, il suffit de savoir qu’il y a des amoureux, des couples qui veulent se retrouver, et comme dit la RTBF, « on y retrouve des personnages truculents et des quiproquos dans une ambiance très vaudevillesque. »
On se retrouve ainsi à la fin du 2ème acte (scène 14) dans une auberge où l’on va découvrir les talents vocaux de Vert Vert, requis par Corilla la chanteuse de remplacer au pied levé un chanteur défaillant.
Allons ! du vin partout et des chansons légères ! Et ceux qui le voudront pourront casser leurs verres ! Au diable les belles manières, Avec nous, Avec eux, jamais de façons !
Amusons-nous, gais compagnons, A la dragonne, entre dragons ! Buvons ! chantons !
Et pif ! et paf ! et versez donc, Madame l’hôtelière ! Vos deux mains sont-elles de plomb ? Vous ne les levez guère. Si la bouteille que voilà ! Est trop lourde, ma chère, Donnez ! chacun se chargera De la rendre légère !
vient la Chanson
VERT-VERT.
Quand du flacon en flots d’or il s’échappe Comme un reflet du chaud soleil, Dont les rayons ont fait mûrir la grappe, Que j’aime à voir ce vin vermeil. Je bois à vous, ma belle dame !
LA CORILLA. Beau cavalier ! je bois à vous.
VERT-VERT. Le présent enivre mon âme !
LA CORILLA. Et l’avenir sera plus doux !…
ENSEMBLE. Versez ! amis ! versez ! toujours ! Ce vin béni par les amours !…
LA CORILLA. Tout en chantant l’amour et la jeunesse Buvons ce vin qui vient de loin. Et de chasser l’importune tristesse, Gaîment remettons-lui le soin !
VERT-VERT. Je bois à vous, ma belle dame !
LA CORILLA. Beau cavalier ! je bois à vous !
VERT-VERT. Le présent enivre mon âme,
LA CORILLA. Et l’avenir sera plus doux !
ENSEMBLE. Versez ! amis ! Versez, toujours. Ce vin béni par les amours.
Etc.
Signalons le CD d’ Opera Rara selon l’édition de J.C.Keck
Concluons en signalant que les amateurs d’art contemporain ont jusqu’au 23 juillet 2022 pour visiter l’exposition Oral Texte à la Fondation Pernod Ricard , qui propose de revenir sur les origines du langage articulé avec les propositions d’une douzaine d’artistes comme Angélique Buisson qui s’est inspirée du conte de Vert Vert.
Voici une de ces « petites partitions dont personne ne veut plus, ou presque… » , mise en ligne par le maestro Jean-Christophe Keck. Mais si on en veut !
C’est une chanson des années 1860, de Paul Avenel (paroles)
et là un recueil plus consistant, où l’on peut trouver de nombreuses chansons de Paul Avenel aux titres attractifs, hélas sans la musique, comme :
Le bon vin (Le bon vin Est divin, Multiplions nos rasades ; Aux refrains des chansons Camarades, Gaîment buvons !), sur l’air de « vaut bien mieux moins d’argent »
La bouteille (Je vais célébrer la bouteille, Mes amis, pour boire avec vous.)
Buvons à l’amitié (Buvons à l’amitié ! Et, sans pitié Pour nos flacons, Faisons sauter tous les bouchons.)
Paris-Champagne (Paris-Champagne Est un vin divin.Pif! paf! tin tin! Vive Paris-Champagne !)
Le petit vin blanc (Mon âme est ravie ! Petit vin blanc sans pareil. Tu jettes dans ma vie Un rayon de soleil.)
etc.
Pour ne pas rester sur notre faim, voici un autre Paris-Champagne, chanté par Luis Mariano.
Paris, c’est du champagne, du champagne et de l’amour !
Au fait, que signifie boire sec ?
Le Robert indique : sans mettre d’eau, mais note aussi « boire beaucoup«
Il y a aussi la proximité de « cul sec », c’est à dire sans rien laisser au fond du verre, d’un coup sec pour la vodka par exemple…
(cf. Les bouches buvaient sec et parlaient beaucoup. — (Joseph Kessel, L’équipage, Gallimard, 1969, page 40),
Buvons sec ! Cet appel avait-il franchi l’Atlantique de l’autre côté duquel le poète louisianais Dominique Rouquette publiait en 1840 ses « Fleurs d’Amérique » ?
Voici encore une oeuvre musicale magnifiant l’ivresse et la boisson pour « supporter le monde tel qu’il est ».
C’est le chant de la terre (Das Lied von der Erde) composée en 1908 par Gustav Malher, une symphonie pour tenor, alto et grand orchestre, suite de six chants sur des textes de poètes chinois.
Malher par Rodin
Le pauvre Malher, qui venait de perdre sa fille ainée, son poste à l’opéra de Vienne et de se découvrir une maladie incurable, découvrit ces poèmes traduits par Hans Bethge et en choisit 6 pour ce Chant de la Terre.
Le premier chant est la chanson à boire de la douleur de la terre (Das Trinklied vom Jammer der Erde), d’après Li Bai, appelé aussi Li Po, un poète que les lecteurs du bon clos ont déjà rencontré !
Dunkel ist das Leben, ist der Tod :sombre est la Vie, sombre est la Mort
Citons wikipedia : » le thème de l’ivresse, remède à toutes nos peines, s’ouvre en fanfare avec les cors sur un motif de trois notes répété à plusieurs reprises. Mais le répit ne dure qu’un temps, le leitmotiv de la triste réalité résonne une première fois sombre est la Vie, sombre est la Mort. L’espoir renait le firmament depuis toujours est bleu, la Terre longtemps encore fleurira au printemps. Développement où les états d’âme se suivent, du sentiment de révolte, à l’exaltation due au vin et enfin la prise de conscience douloureuse du monde tel qu’il est. Et le mouvement en conclusion reprend le leitmotiv résigné sombre est la vie, sombre est la mort« .
Ecoutons ce chant par l’Israel Philharmonic Orchestra – Tel Aviv (1972) dirigé par Leonard Bernstein avec Christa Ludwig, mezzo-soprano et René Kollo, tenor.
Voici le texte de la chanson à boire de la douleur de la terre
I. Das Trinklied vom Jammer der Erde
Schon winkt der Wein im goldnen Pokale. Doch trinkt noch nicht, erst sing ich euch
ein Lied! Das Lied vom Kummer soll auflachend In die Seele euch klingen. Wenn der Kummer
naht, Liegen wüst die Gärten der Seele, Welkt hin und stirbt die Freude, der Gesang. Dunkel ist das Leben, ist der Tod.
Herr dieses Hauses! Dein Keller birgt die Fülle des goldenen Weins! Hier diese lange Laute nenn ich mein! Die Laute schlagen und die Gläser leeren, Das sind die Dinge, die zusammenpassen. Ein voller Becher Weins zur rechten Zeit Ist mehr wert als alle Reiche dieser Erde.
Dunkel is das Leben, ist der Tod.
Das Firmament blaut ewig, und die Erde Wird lange feststehn und aufblühn im Lenz. Du aber, Mensch, wie lang lebst denn du? Nicht hundert Jahre darfst du dich ergötzen
An all dem morschen Tande dieser Erde!
Seht dort hinab! Im Mondschein auf den Gräbern hockt Eine wild-gespenstische Gestalt. Ein Aff ist’s! Hört ihr, wie sein Heulen hinausgellt In den süßen Duft des Lebens! Jetzt nehmt den Wein! Jetzt ist es Zeit,
Genossen! Leert eure goldnen Becher zu Grund! Dunkel ist das Leben, ist der Tod.
Drinking Song of the Earth’s Sorrow
The wine in its golden goblet beckons. But drink not yet. I’ll sing you a song first.
The song of sorrow shall laughingly Enter your soul. When sorrow draws near,
Desolate lie the gardens of the soul, Joy, song, fade and perish. Dark is life, is death.
Lord of this house! Your cellar holds golden wine in abundance! Mine I call this lute here! Striking the lute and draining glasses, Those are the things which go together. A full beaker of wine at the proper time Is worth more than all the kingdoms of
this earth. Dark is life, is death.
The sky is forever blue, and the earth Will long stand firm, and blossom in spring. But you, man, how long will you live? Not a hundred years are you permitted
to delight In all the brittle vanity of this earth!
Look down there! On the graves, in the moonlight, squats A wild spectral figure. An ape it is! Hear how its howls screech out Into the sweet fragrance of life! Take now the wine. Now is the time,
friends! Drain your golden beakers to the last! Dark is life, is death.
Le 5 ème chant: Der Trunkene im Frühling (« L’Ivrogne au printemps »), est aussi d’après Li Bai :
« Un ivrogne chante trop haut et un oiseau vient annoncer le printemps, l’ivrogne proteste « que m’importe le printemps, laissez moi à mon ivresse ».(cf wikipedia). A 30 mn et 4s sur la video ci-dessus
V. Der Trunkene im Frühling
Wenn nur ein Traum das Leben ist, Warum dann Müh und Plag’? Ich trinke, bis ich nicht mehr kann, Den ganzen lieben Tag.
Und wenn ich nicht mehr trinken kann, Weil Kehl’ und Seele voll, So tauml’ ich bis zu meiner Tür Und schlafe wundervoll!
Was hör ich beim Erwachen? Horch, Ein Vogel singt im Baum. Ich frag ihn, ob schon Frühling sei,— Mir ist als wie im Traum.
Der Vogel zwitschert: Ja! der Lenz ist da, Sei kommen über Nacht,— Aus tiefstem Schauen lauscht ich auf, Der Vogel singt und lacht!
Ich fülle mir den Becher neu Und leer ihn bis zum Grund Und singe, bis der Mond erglänzt Am schwarzen Firmament.
Und wenn ich nicht mehr singen kann, So schlaf ich wieder ein. Was geht mich denn der Frühling an!? Lasst mich betrunken sein!
The Drunkard in Spring
If life is but a dream, Why, then, toil and torment?
I drink, until I can no more, The livelong day.
And when I can drink no more, Because my gorge and soul are full,
I stumble to my door And I sleep wonderfully!
And, waking, what do I hear? Hark, A bird sings in the tree. I ask him whether spring has come— I am as if in a dream.
The bird twitters. Yes, spring is here! Overnight it has come— From deepest contemplation I started, The bird sings and laughs!
Afresh I fill my beaker And drain it to the dregs And sing until the moon gleams In the black firmament.
And when I can sing no more, I fall asleep again. What has spring to do with me!? Let me be drunk!
On peut trouver le texte intégral du Chant de la Terre (allemand et traduction en anglais) là.
Sur un poème de Thomas Moore (ci-dessous à g.) traduit par Thomas Gounet, Hector Berlioz (à d.) a composé en 1829 une chanson à boire qui mérite notre intérêt. Elle figure dans le recueil de mélodies : mélodies d’Irlande.
Amis, la coupe écume! Que son feu rallume Un instant nos cœurs! Du bonheur ce gage N’est que de passage; Noyons nos douleurs!
Oh! ne crois pas qu’à mon âme Les tourments soient épargnés! Mes chants, échos de ma flamme, Seront toujours de larmes imprégnés. Ce sourire qui rayonne Sur mon front sombre et pensif, Est semblable à la couronne Dont on pare un roi captif.
Mais la coupe écume, etc.
Les plus heureux sur la terre, Que comptent-ils de plaisirs, Sans quelque pensée amère, Quelques fatals et tristes souvenirs? A l’âme tendre et sensible Le moindre mal est cuisant, Comme à l’arbrisseau flexible Un roitelet est pesant.
Mais la coupe écume, etc.
Thomas Moore, poète prolifique, a composé des dizaines de mélodies irlandaises, sur des airs connus comme c’était l’usage à l’époque (toutes les partitions sont en ligne sur le site LibraryIreland.com).
Parmi celles-ci plusieurs font référence à la boisson, mais de laquelle Thomas Gounet a-t-il tiré sa chanson à boire, une traduction très libre assurément ! ? On pourra peut-être répondre à cette question en analysant les oeuvres complètes !
Voici un film danois sorti sous de multiples noms avec un certain succès : Druk dans son pays d’origine, Alcootest au Québec, Another round (une autre tournée) à l’international, Drunk en France. Il ne pouvait pas nous échapper.
Il présente 4 amis enseignants, proches de la cinquantaine qui décident d’expérimenter l’effet d’un taux permanent de 0,5g/l d’alcool dans le sang. Après des débuts prometteurs, les déboires vont se présenter.
La bande son recèle quelques pépites.
Hvila vid denna källa est une charmante pastorale du poète suédois Carl Michael Bellman,
la 82ème épitre de ses Fredman’s Epistles, composées dans les années 1777-90.
C’est le printemps, et l’on se repose auprès d’une source pour déguster au petit déjeuner (Frukost) vin rouge et « pimpinella » (peut-être des herbes aromatiques). On entend tinter les bouteilles qui, vides, roulent dans l’herbe, et l’on boit le vin de midi au son du cor, entourés de mille fleurs.
La voici chantée par l’ Akademiska Kören i Göteborg
Bellman se fit connaître par ses chansons bachiques et érotiques restées très populaires en Suède, mais sa réputation de « maitre improvisateur » , de musicien poète et de témoin de son temps est de plus hautes. Il jouait merveilleusement de la cithare et était, comme on dirait aujourd’hui, un auteur-compositeur-interprète. Initié à la poésie par son répétiteur, il apprit aussi les langues et put lire Horace et Boileau. Après de premières chansons parodiques, il entreprit d’écrire les Épîtres de Fredman, dans un style novateur. A l’âge de 37 ans il sortit de la précarité grâce à une sinécure octroyée par le roi Gustave III. Ne se cantonnant pas à l’inspiration bachique, il écrivit aussi poèmes religieux et pièces de théâtres. Il fonda l’Ordre de Bacchus (Bacchi Orden) qui plus tard devint la société bacchanalienne Par Bricole (terme français de billard signifiant bande-avant) toujours existante! Alcoolique, perclus de dettes, il mourut à 55 ans.
On trouvera les épîtres et chansonsde Fredman (paroles et musique), cet horloger de Stockholm au destin tragique que Bellman a pris pour héros, avec d’autres figures comme Ulla Winblad, Fader Movitz etc., sur le site Bellman.net
Merci à France Culture, et à sa série « Buvons ensemble, histoires d’alcool », que l’on pouvait écouter ces jours-ci. Grâce à l’épisode consacré à l’empire ottoman, nous avons découvert le poète Nefʿī.
Nef’î vivait au 17ème siècle. Son hymne au sultan (Anthologie de la poésie turque, p 66) évoque les coupes qui se vident et les danseurs grisés de vin et d’harmonie. Il est vrai que Mourad IV était amateur d’alcool.
Le Sultan Murat IV verre en main
« La saison des roses, c’est celle de l’ivresse, La fête des amours, temps fastes, temps bénis, Où les coupes vidées se suivent… Les danseurs Virevoltent grisés de vin et d’harmonie. O état enviable, le grand Cheikh lui-même, Coupable d’excès mériterait clémence. Peut-on donc blâmer le gueux, la pécheresse, De ne pas, incivils, repousser l’échanson ? En amour, potentat, mais du vin esclave, Seul, pour vanter mon maître je prends ma plume en main…«
Hélas pour Nef’î, qui attaquait son grand vizir avec véhémence, le sultan le fera exécuter.
« Coupe bleutée, d’élixir rubis remplie, salut, Que la voûte sans pilier [le ciel] déchiffre en toi le monde… ….. Salut à toi, ô inséparable compagnon Du jeune et du vieux et de l’échanson. …. Compagnon de l’âme, vainqueur des tristesses, Tu vaux plus que la vie, tu en es source même ! Non nul objet d’amour ne peut ravir autant, Nulle part l’homme n’y peut glaner autant de joie ! »
On le retrouvera , ainsi que quelques autres qui attestent la présence du vin au moins dans l’imaginaire, dans l‘Anthologie publiée par Nimet Arzik et disponible en ligne.
Ainsi Yunus Enre vivait au 13ème siècle. Poète mystique d’origine paysanne, il aurait lancé à son instituteur avant de quitter les bancs de l’école pour s’inscrire à celle de la vie : Je te pardonne, ô créature, A cause de ton Créateur.
Il écrivit « le vin qu’il faut tirer et boire«
Veux-tu convoler en noces? Convole! Veux-tu hériterde quelqu’un,hérite! Veux-tu discourir?…Mais que les anges Envient ta parole superbe!
Veux-tu voler?…Eh bien vole! Ou te tapir dans un coin!…Fais-le!
Veux-tu tirer d’un vin et boire ? Bois vin qui te grisera sans fin!
Veux-tu être amoureux? Sois-le. Trouver l’élue de ton cœur? Trouve-la! Mais brûle de fol amour au point De ne ressentir autre brûlure!
Yunus,cesse donc de t’agiter. J’entends où tu veux en venir: Veux-tu avoir ton successeur? ..Soit, Mais qu’il n’ait son pareil au monde!...
Fuzuli, de son vrai nom Mehmed, vivait à Bagdad au 16ème siècle. C’est le plus grand poète de l’amour, nous dit-on. Son nom de plume signifie l’inutile.
Dans son poème « Désepoir« , il aligne les peines et les disgrâces, avec ces vers énigmatiques :
Le désir?…Qu’épreuve ajoutée à l’épreuve… Gouttelettes de vin pur, les coupes se suivent..
Tout but,résonnant comme grelots aigrelets. Le vouloir?…Sentiers pleins de creux et de bosses. Le corps? Promène ses membres disloqués Tel gouffre Est cemonde… O pauvres de nous sans guide!
Pour François Georgeon, directeur de recherche émérite au CNRS (laboratoire CETOBaC, Centre d’études turques, ottomanes, balkaniques et centrasiatiques) interrogé sur France Culture, le vin, bien qu’interdit aux musulmans, a toujours eu sa place dans l’Empire ottoman où résidaient chrétiens et juifs.
Historiquement, on assiste à une alternance de prohibition et de tolérance, l’Etat étant en tension entre le respect de la loi religieuse et son intérêt financier (les levées de taxes).
À l’époque classique ottomane on a ainsi le choix entre le vin, la boza (fermentée à base de millet ou d’orge), et le raki (« sueur de l’alambic » pour les arabes) de faible importance.
Au 19ème siècle, avec le développement de la classe moyenne, boire fait partie de la modernité, le raki devenant boisson nationale à la fin du 19ème, avec une grande liberté de consommation du temps de Kemal et jusqu’à l’’arrivée récente d’ Erdogan et des conservateurs au pouvoir…
Voici une « brinde » de sa composition (mot dont la proximité avec l’espagnol brindar et l’italien brindisi éclaire le sens sans nul doute. On donne à ce mot une origine allemande :Bring dir es…), trouvée dans Misé Lipeto, un livre de recettes de Marion Nazet.
Que se lèvo dòu vin e dei fremo Se levo de lou fè de Dieu, disien lei Rière. Dins nosto Prouvenço, Lei fremo soun bello E lei vin soun famous. Sian i ped de Dieu ! A la bono vosto !
(Qui s’éloigne du vin et des femmes, s’éloigne de la foi de Dieu, disaient nos ancêtres. Dans notre Provence, les femmes sont belles et les vins fameux. Nous sommes aux pieds de Dieu ! A la bonne votre !)
Voici un poème d’Alphonse Daudet, mis en musique par Reynaldo Hahn en 1891. C’est une histoire un peu triste.
Je l’ai rencontrée un jour de vendange, La jupe troussée et le pied mignon ; Point de guimpe jaune et point de chignon : L’air d’une bacchante et les yeux d’un ange.
Suspendue au bras d’un doux compagnon, Je l’ai rencontrée aux champs d’Avignon, Un jour de vendange.
Je l’ai rencontrée un jour de vendange. La plaine était morne et le ciel brûlant ; Elle marchait seule et d’un pas tremblant, Son regard brillait d’une flamme étrange.
Je frissonne encore en me rappelant Comme je te vis, cher fantôme blanc, Un jour de vendange.
Je l’ai rencontrée un jour de vendange, Et j’en rêve encore presque tous les jours. Le cercueil était couvert en velours, Le drap noir avait une double frange.
Les sœurs d’Avignon pleuraient tout autour… La vigne avait trop de raisins ; l’amour A fait la vendange.
Alphonse Daudet, Les Amoureuses, 1858
La voici interprétée par Jaroussky
Il semble qu’un autre auteur, Emile Durand l’ait aussi mis en musique (vers 1850)
Avec les vendanges, Octobre voit fleurir les festivités.
Ainsi Rueil (la Confrérie des Clos de Rueil Buzenval, dont nous avions fêté les 40 ans il y a 2 ans) tient son chapitre tous les ans à l’occasion de la fête des vendanges de la république de Buzenval, attirant les habitués de Suresnes, Montmartre, Rambervillers (les gaubres gousteurs de testes de veau) , mais aussi cette année les taste-cuisses de grenouilles de Vittel, les vieilles murailles de Mantes la jolie, les Echansons et les fidèles de Clamart (malheureusement sans Dame Nicole Olmeta empêchée, mais à qui les Grands Maitres envoient leur bon souvenir),…
Parmi les nombreux intronisés, il faut signaler Michel Devot, Président de Cocorico et chevalier de Saint-Grégoire, et Dame Chantal, de Clamart !
Ils n’on pas boudé les savoureux vins du cru
et fait honneur au déjeuner en musique offert généreusement (mais pas goûté le pain traditionnel).
Ici l’on chante
vive Bacchus, vive Bacchus, vive le vin qui nous régale, vive Bacchus, vive Bacchus, vive Rueil et Buzenval !
Nous avons été heureux de retrouver Alain Zalmanski, chef de choeur, chanteur, et bien d’autres choses encore, qui est à la tête d’une imposante collection de partitions. Il faudra voir ça.
La semaine suivante, on se retrouvait au Musée du Vin chez les Echansons pour une soirée gastronomique sur le thème du Sud Ouest. Foie gras, magret fumé, boeuf gascon, et pour finir pruneaux d’Agen étaient accompagnés par des vins landais et périgourdins.
C’est sous la double égide des muses Euterpe et Erato que se déroula le chapitre avec les intronisation de Jean-Luc Bourré, violoncelliste émérite, qui nous régala de quelques morceaux de Bach, Saint-Saens, et Massenet,
puis à celle de notre ami Michel Mella,
vice Président de Cocorico et Grand Chancelier de la Grappe Yerroise, mais aussi inlassable promoteur de la poésie.
Ce soir les muses étaient avec nous !
D’autant qu’ un habitué de ces agapes, Jean-Louis, offrit au Musée une assiette chinée dans quelque brocante, affichant le poème : l’Amour et le Dieu du Vin, par M.Delalande, professeur.
Il commence ainsi :
Ovide dit : il faut aimer, Horace dit : il vaut mieux boire… … Mes bons amis pour être heureux il faut les croire l’un et l’autre
et, après un argumentaire assez convaincant, se conclut par
On doit auprès de la beauté, Cédant au vin, à la tendresse Boire jusqu’à la gaîté, Mais aimer jusqu’à l’ivresse.
L’air est à chanter , est-il indiqué, sur l’air de « prenons d’abord l’air bien méchant« . Voilà de quoi nous intriguer. Il s’agit d’un air apparemment bien connu à l’époque qui provient d’une « comédie en un acte mêlée d’ariettes par Marsollier. Musique de Dalayrac. Représentée pour la première fois sur le Théâtre de l’Opéra-comique, rue Favart, le 10 février 1799 « Les deux prisonniers : Adolphe et Clara », » qu’on aurait pu voir en 2016 au Vingtième Théâtre.
On trouvera les paroles complètes de cette chanson publiée en 1825 dans le chansonnier des grâces. Et voici la musique !