Quoi de plus pratique qu’un thermomètre pour déterminer l’état d’ébriété d’un sujet ? Hélas un tel instrument, qui rendrait bien des services à tout un chacun comme à la maréchaussée, n’existe pas. On en est réduit à souffler dans un ballon ou pire, à procéder à une analyse de sang.
Pour l’écrivain Paul Mahalin, de son vrai nom Emile Blondet, auteur de romans populaires, le thermomètre du pochard, c’est la casquette !
(in la filleule de Lagardère, vers 1884-86).On y voit un inspecteur de police suivre deux suspects (le Bijou-des-Dames et le Rouquin) qui vont d’un mastroquet à l’autre, étouffant des perroquets (verres d’absinthe), avec « la casquette qui descend en pente du sommet de l’occiput jusqu’aux sourcils, et se rive sur le front, couvrant de l’ombre de sa visière toute la partie supérieur du faciès« .
De mannezingue en caboulot, de liquoriste en assommoir et autre mine à poivre, « la casquette remonte, remonte »… A la Courtille, elle n’est déjà plus sur le front, « elle s’affale sur la nuque, s’écroule sur les épaules »… Incapables désormais de « distinguer un sergent de ville d’un archevêque », « mes hommes sont au point« . C’est le moment d’agir pour l’inspecteur !
Dans les années 1870, le dessinateur Théo abordait le sujet différemment, par l’observation fine du visage. On distingue 6 degrés, de la tristesse liée à l’appétence et au manque, jusqu’au sommeil apoplectique. Et cela se voit comme le nez au milieu de la figure !
1er degré : On a besoin de tordre un perroquet.
= A jeun – Cet état, précédant immédiatement l’heure du repas, est fort triste. L’esprit, le corps sont lourds et tombent dans une langueur quasi-maladive.
2e degré : Etre gai, avoir sa pointe, être teinté, en train.
= Gai – Au 2e degré, on est disposé à causer, on éprouve un certain bien-être et l’on tombe dans une reverie agréable. Si l’on s’arrête là, tout est bien, on a un sommeil tranquille.
3e degré : Lancé, parti, légèrement ému, avoir un coup de soleil, être éméché. Avoir son plumet, être casquette, pompette, avoir son jeune homme.
= Lancé – A ce degré, on aime à parler, on fait des remarques fines, on est langoureux, on possede le don de convaincre, c’est l’aurore naissante des facultés intellectuelles. Un peu plus, on a la conversation trop imagée et l’éloquence trop brûlante, on assome son auditoire d’un déluge de phrases à noyer les patients.
4e degré : Poivre, avoir son affaire, être culloté, raide.
= Gris – On commence à se sentir étourdi : on veut régaler ses voisins de chansons, on éprouve le besoin de se prononcer un discours, on est fier comme un paon, hardi comme un lion, amoureux comme une colombe.
La maladie des cheveux se déclare (image de la gravure)
5e degré : Dans les vignes, complet, pochard, avoir son compte.
= Ivre – On voit double et on est stupidement bon, on aime à donner des poignées de main ou des coups de poing. La langue est épaisse et pâteuse.
6e degré : Rond comme une balle, en avoir plein son sac.
= Ivre mort – On n’appartient plus à ce monde ; on tombe dans un sommeil apoplectique. La maladie des cheveux est dans sa plus grande période.
On peut voir cette estampe au musée de Montmartre.
Le même Théo, dont on n’apprend rien sur le Net, sinon qu’il était illustrateur, dessinateur et lithographe, se distingua aussi par quelques caricatures comme celle du député communard Eugène Razoua, représenté un verre à la main.
Les révolutions sont toujours décriées par leurs détracteurs, aussi on ne s’étonnera de cette représentation du Comité de Salut Public « en séance extraordinaire »
(on ne discute pas la loi sur les boissons)
Terminons cette promenade historique par une dernière estampe signée Alfred Lepetit, représentant le député Henri Rochefort dont la tête inspira cet humoriste.Notre député Rochefort
Comme on le voir ressemble fort
A la grappe
D’un raisin aux grains savoureux
D’où s’échappe
Un vin clair, rouge et généreux
Pour la petite histoire, ce personnage qui lutta opiniâtrement contre l’oppression cléricale et politique et réussit à s’évader d’un bagne calédonien, sombra finalement dans le boulangisme et l’antidreyfusisme.
NB Document trouvés sur les sites Paris – Musées et Gallica