Tu seras vigneron mon fils

C’est l’ami Ajit qui a dégoté dans un chateau de Saint-Emilion ce poème écrit par Louis Orizet, à la manière de Kipling.

tuserasvigneron

Il commence ainsi :

Si tu peux résister à la griffe du froid
Et rester tout le jour ployé sur ton coteau…

et se termine par

Alors dans le cuvage, quand je ne serais plus,
Poursuivant après moi ton généreux office,
Tout comme nos aïeux ont régné sur ces fûts,
Tu seras Vigneron mon fils.

Louis Orizet (1913-1998), ingénieur agronome de formation et écrivain, fut inspecteur général de l’INAO, maire de Denicé et l’un des acteurs de la promotion du beaujolais nouveau avec Georges Dubœuf dans les années 1970 (ll fut l’inventeur du slogan « Le beaujolais nouveau est arrivé »).

Avec son fils l’écrivain Jean Orizet, il a publié « les cent plus beaux textes sur le vin« . Ils y ont glissé 4 de leurs textes, c’était trop tentant, non ?

Comme Vendanges, de Jean Orizet

Gladiateur masqué de chêne
Par toute ses lames le pressoir perd
Son sang pulvérisé un peu plus tard
Au tiède laser du soupirail

Dans quelques jours les feuilles
rougiront du viol…

Alan Seeger

Oncle du chanteur folk Pete Seeger, Alan était un poète américain qui s’engagea en 14 dans la Légion Etrangère et périt sur le front de la Somme.

ASjeune

 « Qu’il soit bien compris que je n’ai pas pris les armes par haine des Allemands ou de l’Allemagne, mais par amour pour la France. »

livreleguiller

Il avait rendez-vous avec la mort, avait-il écrit dans un poème fameux.

seegeraucasque

Il nous a laissé un hommage au Champagne, écrit en 1914-15, dont l’édition originale vient de faire parler d’elle après son acquisition par Pierre-Emmanuel Taittinger de la maison du même nom.

(Voila qui rappelle certaines paroles de Winston Churchill (« nous ne nous battons pas seulement pour la France, mais pour le champagne!))

In the glad revels, in the happy fêtes,
    When cheeks are flushed, and glasses gilt and pearled
With the sweet wine of France that concentrates
    The sunshine and the beauty of the world,
Drink sometimes, you whose footsteps yet may tread
    The undisturbed, delightful paths of Earth,
To those whose blood, in pious duty shed,
    Hallows the soil where that same wine had birth.
Here, by devoted comrades laid away,
    Along our lines they slumber where they fell,
Beside the crater at the Ferme d’Alger
    And up the bloody slopes of La Pompelle,
And round the city whose cathedral towers
    The enemies of Beauty dared profane,
And in the mat of multicolored flowers
    That clothe the sunny chalk-fields of Champagne.
Under the little crosses where they rise
    The soldier rests. Now round him undismayed
The cannon thunders, and at night he lies
    At peace beneath the eternal fusillade …
That other generations might possess—
    From shame and menace free in years to come—
A richer heritage of happiness,
    He marched to that heroic martyrdom.
Esteeming less the forfeit that he paid
    Than undishonored that his flag might float
Over the towers of liberty, he made
    His breast the bulwark and his blood the moat.
Obscurely sacrificed, his nameless tomb,
    Bare of the sculptor’s art, the poet’s lines,
Summer shall flush with poppy-fields in bloom,
    And Autumn yellow with maturing vines.
There the grape-pickers at their harvesting
    Shall lightly tread and load their wicker trays,
Blessing his memory as they toil and sing
    In the slant sunshine of October days …
I love to think that if my blood should be
    So privileged to sink where his has sunk,
I shall not pass from Earth entirely,
    But when the banquet rings, when healths are drunk,
And faces that the joys of living fill
    Glow radiant with laughter and good cheer,
In beaming cups some spark of me shall still
    Brim toward the lips that once I held so dear.
So shall one coveting no higher plane
    Than nature clothes in color and flesh and tone,
Even from the grave put upward to attain
    The dreams youth cherished and missed and might have known;
And that strong need that strove unsatisfied
    Toward earthly beauty in all forms it wore,
Not death itself shall utterly divide
    From the belovèd shapes it thirsted for.
Alas, how many an adept for whose arms
    Life held delicious offerings perished here,
How many in the prime of all that charms,
    Crowned with all gifts that conquer and endear!
Honor them not so much with tears and flowers,
    But you with whom the sweet fulfilment lies,
Where in the anguish of atrocious hours
    Turned their last thoughts and closed their dying eyes,
Rather when music on bright gatherings lays
    Its tender spell, and joy is uppermost,
Be mindful of the men they were, and raise
    Your glasses to them in one silent toast.
Drink to them—amorous of dear Earth as well,
    They asked no tribute lovelier than this—
And in the wine that ripened where they fell,
    Oh, frame your lips as though it were a kiss.
On trouve en ligne cette traduction en vers des deux premiers quatrains :

I  Dans les joyeuses fêtes, dans les réunions heureuses,
Quand les joues sont colorées et les verres dorés et perlés
Avec le doux vin de France qui concentre
Les rayons du soleil et la beauté du monde,

II  Buvez quelquefois, vous dont les pas peuvent encore fouler
Les calmes, délicieux chemins de la Terre,
À ceux dont le sang, versé dans un pieux devoir,
Sanctifie le sol où ce même vin est né.

En voici une autre, en prose, trouvée sur le site Médecins de la Grande Guerre  du Dr Patrick Loodts (traduction Bernard Léguiller)

livreleguiller

Biographie, carnets de guerre et poèmes. Alan Seeger, traduit de l’anglais par Bernard Léguiller. Editions la Vague Verte, 80430 Inval-Boiron

Dans les joyeux banquets, dans les heureuses fêtes, quand les joues seront empourprées et que les verres seront pleins des perles dorées du doux vin de France, où se concentrent les rayons du soleil et la splendeur du monde,

       Buvez quelquefois, vous dont les pas pourront encore fouler les sombres et délicieux sentiers de la terre, buvez à la mémoire de ceux qui, pour un pieux devoir, ont versé leur sang, sanctifiant le sol où ce même vin naquit.

       Là, étendus par de dévoués camarades, ils sommeillent le long de nos lignes, à l’endroit où ils sont tombés, à côté du cratère de la Ferme d’Alger et en haut des coteaux sanglants de la Pompelle,

       Et autour de la vine et de la cathédrale dont les ennemis de la Beauté osèrent profaner les tours, dans le tapis de fleurs multicolores qui revêt les champs crayeux et ensoleillés de la Champagne.

       Sous chacune des petites croix érigées, repose le soldat.

       Obscurément sacrifié, sa tombe sans nom, nue, sans sculpture, sans dédicace poétique, sera empourprée par l’Eté de coquelicots en fleurs et l’automne la jaunira de vignes mûrissantes.

       Là, les vendangeurs en faisant la récolte, marcheront plus légèrement, et en chargeant leurs plateaux d’osier, ils béniront sa mémoire tandis qu’ils chanteront en accomplissant leur dur labeur … sous les rayons obliques du soleil d’octobre …

       Combien j’aime à penser que si mon sang est assez privilégié pour imprégner cette terre où le sien pénétra, je ne disparaîtrai point entièrement, mais quand les banquets s’animeront aux bruits des voix, quand on boira en portant des toasts,

       Et que les faces illuminées par la joie de vivre seront rendues plus radieuses par les rires et la bonne chère, des coupes étincelantes un atome de mon être s’élancera vers les lèvres que j’ai tant aimées.

       Ainsi, un être qui n’aura pas convoité l’idéal plus haut que celui incarné, coloré, vivifié par la nature. même, de la tombe s’élèvera pour atteindre les rêves chéris de sa jeunesse, ces rêves qu’il ne réalisa pas et qu’il aurait pu vivre.

       Hélas ! combien périrent ici, à qui la vie réservait de délicieux présents ; combien, dans toute la vigueur et le charme de leur jeunesse couronnée de tous les dons qui conquièrent et séduisent !

       Honorez-les non pas tellement avec des larmes et des fleurs ! Mais vous, avec qui est restée la douce réalisation de leurs rêves, vous vers qui, dans l’angoisse des heures atroces se tournèrent leurs dernières pensées quand leurs yeux mourants se fermaient,

       Rappelez-cous quels hommes ils furent ; et quand vous êtes sous le tendre charme de la musique ou parmi une brillante assistance animée de la joie la plus vive, levez vos verres à leur mémoire dans un toast silencieux.

Buvez à eux, – pleins d’amour pour la Terre chérie ! Ils ne demandent pas de plus éloquent témoignage de tendresse, et, dans le jus de la vigne qui a mûri à l’endroit même où ils tombèrent, oh ! trempez vos lèvres comme si vous leur donniez un baiser.

Alan Seeger

Volontaire américain, mort pour la France

plaquette

Baptiste W.Hamon chante « la ballade d’Alan Seeger », chanson qu’on peut écouter par exemple sur Spotify.

Li Bai

Il y a treize cents ans vivait en Chine un des plus grands poètes de ce pays. Li Bai, Li Po, Li Tai Pe ou Li Taibai, comme on voudra.  Si nous en parlons, c’est bien sûr que cet homme aimait le vin, ou plutôt l’alcool qui en tient lieu en Chine.Ses poésies ont été traduites par le Marquis d’Hervey-Saint-Denys, qui rapporte ainsi comment il fut présenté à l’Empereur :

“J’ai, dans ma maison, avait dit [son ministre] Ho-tchi-tchang à l’empereur chinois, le plus grand poète peut-être qui ait jamais existé : Je n’ai pas osé en parler encore à Votre Majesté, à cause d’un défaut dont il paraît difficile qu’il se corrige : il aime le vin, et en boit quelquefois avec excès. Mais que ses poésies sont belles ! Jugez-en vous-même, seigneur”, continua-t-il en lui mettant entre les mains quelques vers de Li-taï-pé.

« L’empereur lut ces vers et en fut enthousiasmé. “Je sais, dit-il, condescendre aux faiblesses de l’humanité. Amenez-moi l’auteur de ces poésies ; je veux qu’il demeure à ma Cour, dussé-je ne pas réussir dans les efforts que je tenterai pour le corriger.” 

Li Bai eut une vie mouvementée, une légende veut « qu’ayant essayé de se tenir debout sur l’un des côtés de sa barque, après avoir bu plus que de raison, il ne fut pas assez ferme sur ses pieds, tomba dans l’eau et se noya. »

On pourra lire la traduction du Marquis , et ci-dessous quelques extraits comme

en face du vin


La vie est comme un éclair fugitif ;
Son éclat dure à peine le temps d’être aperçu.
Si le ciel et la terre sont immuables,
Que le changement est rapide sur le visage de chacun de nous !
O vous, qui êtes en face du vin et qui hésitez à boire,
Pour prendre le plaisir, dites-moi, je vous prie, qui vous attendez ?

Un jour de printemps, le poète exprime ses sentiments au sortir de l’ivresse

Si la vie est comme un grand songe,
A quoi bon tourmenter son existence !
Pour moi je m’enivre tout le jour,
Et quand je viens à chanceler, je m’endors au pied des premières colonnes1.
A mon réveil je jette les yeux devant moi :
Un oiseau chante au milieu des fleurs ;
Je lui demande à quelle époque de l’année nous sommes.
Il me répond : A l’époque où le souffle du printemps fait chanter l’oiseau.
Je me sens ému et prêt à soupirer,
Mais je me verse encore à boire ;
Je chante à haute voix jusqu’à ce que la lune brille,
Et à l’heure où finissent mes chants, j’ai de nouveau perdu le sentiment de ce qui m’entoure.

Le poète descend du mont Tchong-nân et passe la nuit à boire avec un ami

Le soir étant venu, je descends de la montagne aux teintes bleuâtres ;
La lune de la montagne semble suivre et accompagner le promeneur,
Et s’il se retourne pour voir la distance qu’il a parcourue,
Son regard se perd dans les vapeurs de la nuit.
Nous arrivons en nous tenant par la main devant une rustique demeure,
Un jeune garçon nous ouvre la barrière formée de rameaux entrelacés ;
Nous passons par un étroit sentier dont les bambous touffus rendent l’entrée mystérieuse,
Et les grandes herbes verdoyantes frôlent gaiement la soie de nos vêtements.
Ma joie éclate de nous trouver ensemble dans cette retraite charmante,
Nous nous versons l’un à l’autre un vin d’une saveur exquise ;
Je chante, je chante la chanson du vent qui souffle à travers les pins,
Et ma verve ne s’épuise qu’à l’heure où s’efface la voie lactée.
J’ai perdu ma raison et cela excite encore votre gaieté, mon prince ;
Nous oublions tous deux, avec délices, les préoccupations de la vie réelle.

Chanson à boire

Seigneur, ne voyez-vous donc point les eaux du fleuve Jaune ?
Elles descendent du ciel et coulent vers la mer sans jamais revenir .
Seigneur, ne regardez-vous donc point dans les miroirs qui ornent votre noble demeure,
Et ne gémissez-vous pas en apercevant vos cheveux blancs ?
Ils étaient ce matin comme les fils de soie noire,
Et, ce soir, les voilà déjà mêlés de neige.
L’homme qui sait comprendre la vie doit se réjouir chaque fois qu’il le peut,
En ayant soin que jamais sa tasse ne reste vide en face de la lune.
Le ciel ne m’a rien donné sans vouloir que j’en fasse usage ;
Mille pièces d’or que l’on disperse pourront de nouveau se réunir.
Que l’on cuise donc un mouton, que l’on découpe un bœuf, et qu’on soit en joie ;
Il faut qu’ensemble aujourd’hui, nous buvions d’une seule fois trois cents tasses3.
Les clochettes et les tambours, la recherche dans les mets ne sont point choses nécessaires,
Ne désirons qu’une longue ivresse, mais si longue qu’on n’en puisse sortir.
Les savants et les sages de l’Antiquité n’ont eu que le silence et l’oubli pour partage ;
Il n’est vraiment que les buveurs dont le nom passe à la postérité.

Le vin & la musique à la Cité du Vin

Vin et Musique, l’un ne va pas sans l’autre, le vin pousse à chanter, et chanter donne soif ! (A vrai dire c’est un ménage à trois, car il y a un troisième larron, l’Amour, qui n’est jamais loin !)

nature morte aux instruments de musique et verres de vin, Eugène Appert 1848

Voila pour légitimer la très belle exposition que nous sommes allés voir à Bordeaux, dans cet étonnant carafon dont nous avons déjà parlé.

Dès l’abord on voit des signes prémonitoires comme ces grandes bouteilles trônant sur les terrasses d’un édifice voisin.

Tableaux, objets décoratifs, instruments de musique, livrets et partitions… sont rassemblés là en nombre pour cette exposition. Et l’on peut  aussi écouter de la musique de diverses époques, allant des airs à boire de la Renaissance aux grands airs d’opéra et aux goguettes du  19ème siècle.

Commençons par quelques tableaux. Nombre honorent Bacchus comme ce Triomphe de Bacchus de Nicolaes Moeyaert (1624) qui s’est amusé à représenter des types contemporains de paysan, soldat, ou vieillard réputés bons buveurs…

et ces Bacchanales de Michel-Ange Houasse (1719)

et de Jacques Blanchard (1636)

On aura remarqué les tambourins, omniprésents sur ces tableaux.

On voit aussi des scènes d’auberges où l’on boit au son du violon

scène d’auberge, attribuée à Jan Steen

buveurs devant une auberge italienne, Johannes Lingelbach 1650-5

des poètes attablés (ci-dessous Piron, de Jacques Autreau, début 18ème),

(NB : le verre en haut à gauche ne fait pas de la lévitation, il est suspendu à un patère)

des buveurs jouant de la musique

joyeuse compagnie de Dirck van Baburen, 1623

et des musiciens buvant !

Eau forte de Jean 1er Leblond d’après Gerrit van Honthorst (17ème siècle), qui préfère le vin à la musique semble-t-il.

Quoique l’harmonie soit belle
Des instruments dont je me sers
Je quitte les plus beaux concerts
Pour boire une liqueur pareille
Car quoique l’on dise j’aie mieux
Un vin qu’un accord curieux
réunion de buveurs de Nicolas Tournier vers 1615-20
(voir le contraste entre l’élégance des buveurs du premier plan et la gloutonnerie de ceux de l’arrière-plan)

On porte des coupes en escortant le boeuf gras

le cortège du boeuf gras, dit la fête du vin, vers 1640
(remarquer le mini-violon, appelé pochette, joué par le personnage le plus à gauche)
et le cortège du bélier, lors du Carnaval de la Courtille par exempleCurieuse scène d’intérieur que cette chambre de rhétorique (anonyme, vers 1659).

Populaires en Flandres aux 17ème siècle, on s’y retrouvait pour composer poèmes et chants, débattre et philosopher, boire et faire la fête. On nous y fait remarquer Calvin, Luther qui joue du luth, des représentants de diverses confessions reconnaissables à leur costume.

Passons à la 3ème dimension avec cet autre Triomphe de Bacchus (terre cuite en ronde bosse) que l’on doit à Louis-Simon Boizot (vers 1772)

Cette cruche à vin représentant une noce paysanne vient de Wallonie (1600-10). Elle est en grès gris et étain.

Voici une bouteille de vin en faïence de Nevers représentant une bacchanale (vers 1680)Le cavalier juché sur ce tonnelet de faïence nous dit en vers : « Je veux boire jusqu’à demain/ puisque je suis le dieu du vin/ et tant que mon tonneau durera/ monsieur Rivin en boira »Ce superbe instrument peint de toutes parts est un virginal double (il y a un deuxième clavier au-dessus du premier). Il date de 1580 et a été fait à Anvers par Martinus van der Biest.

Et voici une tête de Bacchus ornant une basse de viole (Michel Collichon, 1689)

Venons en maintenant à l’autre dominante de l’exposition, la musique écrite.

Cette assiette (Roue 1740) fera la transition. On y lit

pour passer doucement ma vie
avec mon petit revenu
amis je fonde une abbaye
et je la consacre à Bacchus

On trouve cette chanson dans ce recueil d’ariettes et chansonnettes de table et à danser (18ème siècle)

Nous aimons bien le 3ème couplet :

je veux qu’en ce lieu chaque moine
qui viendra pour prendre l’habit
apporte pour tout patrimoine
longue soif et bon appétit

Voici maintenant, dans un recueil d’airs sérieux et à boire imprimé en 1729, « Avec du vin endormez-nous« , le fameux canon de Rameau (qui sera repris dans le ballet Anacréon), qui montre que le maître de l’harmonie n’était pas dénué d’humour.

Le recueil suivant date de 1718

Divin sommeil par vos charmes puissants endormez tout le monde…
Mais à présent qu’avec ce vin nouveau je travaille à rougir ma trogne…
Gardez vous bien d’endormir un ivrogne occupé à vuider son tonneau

Dans un autre recueil nous lisons

verse verse verse
à longs traits ce nectar si doux
si bacchus nous jette à la renverse
verse verse verse
l’amour aura soin de nous…

Nous voici en 1713 avec ce recueil de chansons et vaudevilles de Dailichamps

Bacchus d’heureuse mémoire
Dit un jour à ses enfants
Croyez moi l’on ne peut boire
Assez tôt ni trop longtemps
Suivons suivons tour à tour
Bacchus et l’Amour

Voici encore une chanson joliment illustrée.

Le fameux Diogène philosophe d’Athènes…

vivait dans un tonneau
Cela nous signifie
Que la philosophie
Ne s’apprend point dans l’eau

Malheusement sans musique, voici le recueil général des chansons du capitaine Savoyard, par lui seul chantées dans Paris. C’était au 17ème siècle un fameux chanteur des rues, du nom de Philippot, aveugle de par son ivrognerie disait-il. On peut en trouver une édition  sur gallica.

Accourez filles et garçons/écoutez bien notre musique…

Il a composé de nombreuses chansons à boire. Que doit-on préférer, le vin ou la musique ? On retrouve ici le point de vue violoniste vu plus haut.

Ca buvons c’est assez chanté
Il faut penser à nos bouteilles
J’aime mieux boire une santé
Que laisser charmer mes oreilles
Plus près de nous voici un recueil de chansons de Vadé Jean-Joseph, chansonnier qui vivait au 18ème siècle,
Nous ne pouvons rien trouver sur la terre
qui soit si bon ni si beau que le verre…
et
que mon flacon
me semble bon
sans lui
l’ennui
me nuit
me suit
Plus près de nous encore, voici des chansons de Pierre Capelle (1775-1851), l’homme qui ressucita le Caveau, célèbre goguette, et publia des centaines d’airs notés dans la Clé du Caveau. Un petit air de ressemblance...
Buvons, amis, et buvons à plein verre ;
Enivrons-nous de ce jus divin !

Voici enfin musique et vin réunis avec cette joyeuse Rocambole, ou Baccanale au sujet de la paix (1679, fin de la guerre de Hollande qui aura duré 7 ans)

Enfin apres la Guerre et ses tristes allarmes
La Paix, l’aimable Paix, vient étaler ses charmes,
Et rétablir le Calme en ces paisibles lieux ;
On n’y voit que festins, tout respire la Joye
Dans le jus du Raisin le noir Chagrin noye,
Et chacqu’vn à trinquer s’excite à qui mieux mieux.
Ces Peuples ennemis que l’vnion rassemble
Quittant leurs differens
pour s’accorder ensemble,
Tous vnanimenent ont mis les armes bas ;
Et s’il y reste encor quelqu’image de Guerre
Leurs plus grans démeléz et leurs plus fiers combats
Se font entre les plats la bouteille, et le verre
    On n’a pas pu tout dire, ni tout montrer. Mais il reste encore quelques semaines pour voir cette belle expo qui se termine le 24 juin.             

 

Contrerimes

En poésie, les contrerimes désignent une façon de versifier, avec typiquement des quatrains aux rimes embrassées (ABBA) et de structure métrique croisée (8-6-8-6 par exemple). Paul Jean Toulet, qui vivait il y a un eu plus d’un siècle, en fut l’inventeur. Il appartenait à un groupe de poètes appelé l’Ecole fantaisiste dont le succès  fut de courte durée en raison de la Grande Guerre.

Evidemment, aujourd’hui, après les surréalistes, pataphysiciens et autres oulipiens, cela ne surprend guère. Il reste que certaines sont charmantes, et pas déplacées sur ce blog pensons nous.

C’était sur un chemin crayeux
Trois châtes de Provence
Qui s’en allaient d’un pas qui danse
Le soleil dans les yeux.

Une enseigne, au bord de la route,
— Azur et jaune d’œuf, —
Annonçait : Vin de Chateauneuf,
Tonnelles, casse−croute.

Et, tandis que les suit trois fois
Leur ombre violette,
Noir pastou, sous la gloriette,
Toi, tu t’en fous : tu bois…

C’était trois châtes de Provence,
Des oliviers poudreux,
Et le mistral brûlant aux yeux
Dans un azur immense.

Dans Romances sans musique, celui-ci est en heptamètres :

Un chemineau navarrais
Nous joua de la guitare.
Ah ! Que j’aimais la Navarre,
Et l’amour, et le vin frais.

On aime bien aussi cette injonction des Coples

Eh, jeûnes à ta faim d’aimer si le déboire
te suffit. Mais c’est être fou de ne plus boire.

Sur tous plaisirs la vendange m’agrée…

Nous avons rencontré l’Épitre à Ambroise de la Porte, parisien, où Ronsard faisait l’éloge de certains vins de Brie, suite à notre passage à Coulommiers. (On a vu que d’Eustache Deschamps à Boileau, les avis sont plutôt contraires.)

Mais Ronsard a des mots réjouissants pour décrire les plaisirs de la vendange…

…Mais d’autant plus que poète j’aime mieux
Le bon Bacchus que tous les autres dieux
Sur tous plaisirs la vendange m’agrée,
A voir tomber cette manne pourprée
Qu’à pieds déchaux un gâcheur fait couler
Dedans la cuve à force de fouler.
Sur les coteaux marche d’ordre une troupe;
L’un les raisins d’une serpette coupe,
L’autre les porte en sa hotte au pressouer,
L’un tout autour du pivot fait rouer
La vis qui geint, l’autre le marc asserre
En un monceau et d’ais pressés le serre,
L’un met à l’anche un panier attaché,
L’autre reçoit le pépin escaché,
L’un tient le muid, l’autre le vin entonne,
Un bruit se fait, le pressoir en résonne…

On trouvera une version presque complète dans l’étude de Didier Lebègue sur les vignerons de Brie, et la version originale en langue d’époque dans le Bocage de P. de Ronsard Vandomois publié en 1554.

A la brasserie de l’hôtel de ville…

…de Clamart, c’est le lieu élu cette année par les amis du Clos de Clamart pour fêter le vin nouveau. On connaît le bas relief qui trône sur sa façadeon ne connaissait pas sa cuisine qui s’est révélée excellente.

Après avoir dégusté le beaujolais du château des Corcelles (« sa robe couleur rouge rubis exhale des notes de fruits rouges mises en valeur par une texture souple, gourmande et friande », nous dit-on)et chanté à loisir avec nos amis audoniens venus en nombre et l’ami Bernard à l’accordéonnotre amie et quasi doyenne Nicole O. nous régala de ce petit poème qui restera dans les annales
photo de Pascal Harlaut (Agency Prodvidéo’art. © 2017)

Lorsque vers un autre destin, 
(En suivant toujours mon chemin),
Lorsque vers des cieux… plus cléments (?)
La « vie »… me conduira gaîment,
Survolant … peut-être, CLAMART…
(En m’interrogeant sur mon sort ?)
Je dirai d’un air goguenard :
« Eh !  les copains  !  Alors, on dort ?
Je n’entends pas vos chants, vos rires
Ce qui fait que l’on vous admire !…
Volant par dessus vos jardins…
N’auriez-vous pas un verre du vin
(Dont CLAMART peut s’ennorgueillir),
Fraîchement tiré, à m’offrir ?
Ou bien un peu de BEAUJOLAIS,
Celui, qu’en chantant, on goûtait,
Chaque année, à son arrivée ! »
Ah, oui!  que de beaux souvenirs 
Avec moi, je vais emporter 
Au soleil de mon avenir !!
L’an prochain, je repasserai ..
Enfin, toutefois …j’essaierai
De venir boire un bon godet …
Si…là-haut, on me le permet !
……………………………………………
Ah ! Je rêvais toute éveillée.
Je suis bien là, à vos côtés …
Plus besoin de vous survoler  !
Ensemble, nous allons trinquer
A la santé du BEAUJOLAIS 
De cette année 2017  !
Mon verre est bien  en main, c’est net !!
L’instant, donc, étant des plus gais,
Buvons à la belle amitié 
Qu’entre nous, nous avons tissé,
Et ne cessons pas de chanter !
.
« Buvez, buvez, goûtez donc ce vin de fête »
« Buvons, buvons, à la santé des vignerons !! »

Nicole OLMETA

photo de Pascal Harlaut (Agency Prodvidéo’art. © 2017)

Mais il se fait tard, fermons le ban !

poètes persans

Vue à l’exposition Joyaux d’Inde du Grand Palais, cette coupe à vin en jade de l’empereur moghol jahangir est datée 1016 AH soit 1607-8, et porte une inscription calligraphiée en persan

C’est l’occasion de revisiter les  poètes qui écrivaient en cette langue, qui à l’instar d’ Omar Khayyam et Hafez de Chiraz, ont chanté l’ivresse et le vin.

Omar Khayam a vécu aux 11ème-12èms siècles. C’était un grand savant qui résolut géométriquement une équation cubique, par l’intersection d’un cercle et d’une parabole.

Poète, il a beaucoup chanté le vin… En Egypte, les caves Gianaclis lui ont dédié des cuvées

Voici quelques uns de ses quatrains (adaptations françaises de Draz Petel):

« Elle passe bien vite cette caravane de notre vie
Ne perds rien des doux moments de notre vie
Ne pense pas au lendemain de cette nuit
Prends du vin, il faut saisir les doux moments de notre vie »
Bois du vin…c’est lui la vie éternelle,
C’est le trésor qui t’es resté des jours de ta jeunesse :
La saison des roses et du vin, et des compagnons ivres !
Sois heureux un instant, cet instant c’est ta vie.
Bois du vin, car tu dormiras longtemps sous la terre,
Seul sans ami, sans camarade et sans femme ;
Surtout, ne dévoile ce secret à personne :
Les tulipes fanées ne refleurissent jamais.
Je ne sais si celui qui façonna mon être
M’a préparé une demeure dans le ciel ou en enfer ;
Mais un peu de nourriture, une bien-aimée et du vin au bord de la prairie,
Cela me suffit…gardes pour toi ce Ciel qui n’es que promesse.
le vin est interdit car tout dépend de qui le boit :
de son caractère et de la compagnie qu’il choisit.
Ces trois conditions réunies, peux-tu me dire :
Qui donc bois du vin, si ce n’est le sage ?
 Lève-toi, donne moi du vin, à quoi bon discuter,
Ce soir ta petite bouche suffit à tous mes désirs.
Sers-moi du vin rose comme tes joues
Et que mes remords soient aussi légers que tes boucles.

On en trouvera d’autres encore, parlant magnifiquement de la destinée humaine et de son créateur putatif,  sur le site des éditions du petit-bois.

http://heyok7.wixsite.com/editionsdupetitbois/vierge-c1nvl

Hafez de Chiraz vivait, lui, au 14ème siècle.

Il écrivit des ghazals, comme ceux publiés par Gilbert Lazard (et offerts par l’amie Catherine)

 où l’on peut lire

et aussi cette profession de foi :

Le jeûne est fini, c’est la Fête : haut les coeurs et les sourires !
Le Vin dans la cuve bouillonne, il est temps de le servir.
Oui des prêcheurs d’austérité, le triste règne est passé,
Voici celui des bons vivants et de la libre pensée.
Pourquoi blâmer celui qui boit d’un Vin trouvé délectable ?
Quel mal à cette fantaisie ? En quoi est-elle coupable ?
Dérèglement d’un franc Buveur de toute ruse innocent
Vaut mieux que vertu affichée et qui n’est que faux-semblant.
Nous ne sommes ni hypocrites ni de querelles amateurs,
Peut en témoigner Celui-là qui sait le secret des coeurs.
Nous respectons la loi divine, nous ne nuisons à personne,
Nous ne prônons pas les actions que l’on dit n’être pas bonnes.
Qu’importe donc que toi et moi buvions parfois de bons coups ?
Le vin est le sang de la vigne et non votre sang à vous.
Ce péché est-il un défaut indisposant quelque sot ?
Et si d’aventure il l’était, quel est l’homme sans défaut ?
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A ce débat bien actuel on répondra bien sûr avec  Maurice Chevalier

le roman de fauvel

Le roman de Fauvel, qui date du début du 14ème siècle (dans les années 1310), conte l’histoire d’un cheval, symbole de fausseté,  qui s’approprie la maison de son maître et que tous viennent « torchier ».   Cette oeuvre satirique admoneste l’Eglise et le pouvoir politique. C’est un long poème de plus de 3000 vers largement mis en musique (on peut télécharger la version commentée d’Arthur Langfors là.

explicitredLe manuscrit  146 conservé à la Bibliothèque Nationale recèle un étonnant « explicit » (déclaration du scribe en fin d’ouvrage) dont les derniers mots sont : J’ai sef, il est temps que je boive, suivi de portées musicales aux paroles sans ambigüité.

Le Mercure Musical du 15-VII-1906 en a publié la transcription sous la plume de Pierre Aubry.

trans1red trans2red trans3red Voici des interprétations que l’on peut apprécier en ligne,

celle-ci par Court and Country at St Cecilia at the Tower

en voilà une autre très dansante (à Berlin en 2006)

Voir aussi l’enregistrement par la Boston Camerata de Joël Cohen (apex 1995)

Buvons ma commère etc. (le Manuscrit de Bayeux)

Nous parlions récemment de ce manuscrit dit de Bayeux à propos de la chanson gentils galants.  Il en comporte plus de cent, qui furent rassemblées au début du 16ème siècle pour le prince Charles de Bourbon, apprend-on. Sans mention d’auteur, certaines seraient d’Olivier Basselin.

Quelques unes nous intéressent bigrement. Ainsi buvons ma commère, mais aussi bon vin je ne te puis laisser et buvons fort jusqu’au bort.

Bevons ma commère , le chant 15 du manuscrit, est d’auteur inconnu ;  il évoque le dit des trois dames de Paris qui  vont au cabaret et s’enivrent jusqu’à plus soif dont nous avons déjà parlé,et dont on peut trouver une relation détaillée sur le blog monparismédiéval.

Voici la transcription de la chanson (paroles et musique),  par M.Théodore Gerold en 1921bevonsOn le voit, on reste un peu sur sa faim, il devait y avoir bien plus de couplets si l’on se réfère à l’histoire des trois dames, qui finissent dévêtues dans le caniveau…

Bevons ma commère, nous ne buvons point….

Ilz estoient trois dames d’acord et d’apoint,
Disant l’ung à I’aultre Nous ne bevons point,

Il y vint ung rustre tout en beau pourpoint,
Pour servir les dames tres bien et à point.

Se dirent les dames: « Vecy bien à point;
Faison bonne chere, ne nous faignons point.

Le mignon commence, il ne tarda point.
De servir s’avance tout â leur bon point.

De chanter s’avance en doulx contrepoint,
Et en grant plaisance vint fraper au point.
.
Des maris doubtance nous n’en avons point.
D’eux n’airons grevance, car ils n’y sont point.

Voici la version de l’ensemble Insula Magica de Novosibirsk

et celle des Menestreux de la Branche Rouge

et celle du groupe normand Sélune

voici d’autres paroles (rapportées par Achille Millien – Chants et chansons populaires, vol. III page 34 – 1910)
Nos homm’ sont aux vignes,
Qui, qui, qui, qui, qui,
Nos homm’ sont aux vignes,
Qui travaillent bien...
Boivent la piquette,
Et nous, nous, nous, nous, nous,
Boivent la piquette,
Et nous le bon vin.