Nous allons parler d’un poète anglais, Robert Herrick, déjà rencontré en nous intéressant au « Wassailing« , cette pratique britannique du toast porté encore aujourd’hui jusqu’aux arbres fruitiers pour lesquels Herrick a composé un quatrain fameux.

Disons tout de suite que le Sack est le nom donné au 16ème siècle par les anglais au vin fortifié qu’ils faisaient venir des Canaries, de Majorque et du sud de l’Espagne. L’origine est discutée. Mais le terme comme la chose était populaire. Ainsi Shakespeare fait-il dire à Falstaff :
« If I had a thousand sons, the first humane principle I would teach them should be, to forswear thin potations and to addict themselves to sack. »

Pour parler de Robert Herrick, nous nous basons sur la thèse de 600 pages écrite en 1911 par FLORIS DELATTRE, professeur d’anglais au lycée Charlemagne, et sur la synthèse en 30 pages que lui a consacré Camille Chemin, professeur au lycée de Caen, dans la Revue Pédagogique, en 1913.
L’homme, né en 1591, vécut une vie d’étudiant assez dissolue au Trinity Hall à Cambridge.
« On s’habille de couleurs extravagantes. On fume partout, jusque dans le hall de Trinity, et même dans l’église de St Mary. On assiste aux combats d’ours et de chiens. On danse, malgré la défense expresse des Proctors. »
« On fréquente beaucoup les tavernes,… On y joue aux cartes ou aux dés, et on y boit ferme, Les jeunes poètes, oubliant de parler latin, y lisent leurs premières œuvres au milieu des applaudissements tapageurs, et Herrick a pu y déclamer quelque version primitive de sa Bienvenue au Vin des Canaries ».
« Welcome to the Sack » est en effet un des deux fameux poèmes écrits par Herrick à la gloire du Sack. Il y dit « son ravissement à retrouver sa liqueur aimée, dont l’éloignement lui avait été si cruel… la comparaison de la liqueur avec une épousée est reprise ici et poussée à l’extrême. La boisson est divine, elle est la Douce Amie, la Sainte du poète. Elle est son allégresse, sa force, et rien ne pourra plus à présent l’en séparer.«

En voici un extrait (le poème entier compte 92 vers) traduit par Floris Delattre (en v.o. ici)
..Bienvenue, bienvenue, ô mon illustre épouse ;
sois bienvenue, ô toi qui couronnes mes vœux.
Encor mieux accueillie que l’est la terre heureuse
quand, après maints travaux, ballotté par les vents,
le marchand la salue de ses pleurs, découvrant
les toits de son Ithaque où montent des fumées.
Où donc t’en allas-tu si longtemps, loin de moi,
pauvre chère exilée ? tes grâces mécontentes
avaient-elles voulu s’enfuir, et, un moment,
prodiguer leurs faveurs à des climats nouveaux ?
ou bien t’éloignas-tu pour que ta courte absence
excitât plus d’amour et plus d’ardeur en moi ?
D’où vient, ma Belle, ton courroux ? Pourquoi, ma Sainte,
refuser ton sourire à ton fervent dévot ?…
Ai-je été froid dans mes caresses ? négligent,
trop modéré dans mes étreintes ? le désir
de toi s’est-il éteint dans l’âtre, et nulle braise
ne vit-elle en le tas de cendres remuées,
y préservant au moins l’éclat d’une étincelle ?
Aurais-je divorcé d’avec toi, pour m’unir
en fougueux adultère avec un autre vin ?
Certes, je te quittai, je l’avoue, mais proteste
que je le fis pour mieux affermir mon ardeur,
et pour doubler l’amour que je te porte, ainsi
que font ceux dont la haine enflamme la passion…
Mais tout a une fin, et sans doute contraint par ses excès, ou par un retour à la raison suite à sa nomination comme vicaire dans le Devon, il écrivit son Farewell to the Sack (en v.o. là)
« Il y chante l’affection qu’il porte à la généreuse liqueur, tout le véritable amour même dont il l’enveloppe, comme il ferait d’une maîtresse adorée. Bien qu’il soit contraint de s’éloigner d’elle, et de sa » beauté ensorcelante, » il l’assure que son admiration amoureuse ne faiblira point. Citons seulement ici le début et la fin du poème :
Adieu, toi qui jadis m’étais si familier,
si cher, comme le sang à la vie, plus intime
que ne sont des parents, des amis, homme et femme,
plus que des époux même, ou que l’âme et le corps?,
vie animant nos jours, ou le flanc doux et chaud
de l’épousée qui se résigne, mais résiste.
Baisers de vierges, et prémices de la couche,
caresses, tendres mots, lèvres, virginité,
et mille autres douceurs ne purent jamais être
plus intimes, plus chères que tu fus pour moi.
O toi nectar des dieux et des anges, ô vin
qui répands le désir et l’ardeur, dont l’éclat
semble plus radieux qu’un pur soleil d’été…
……
Mais pourquoi plus longtemps te contempler ainsi
d’un regard plein d’amour et d’admiration,
puisque je suis contraint de te quitter, de dire :
« éloigne-toi » à ta beauté ensorcelante ?…
Que d’autres librement te boivent ; qu’ils désirent
un baiser conjugal de tes lèvres ; pour moi
t’admirant et t’aimant, plus ne te goûterai.
Que ma Muse, privée de tes secours d’antan,
n’ait désormais recours qu’à sa force première ;
et mes vers, jusqu’ici tout pleins de ta saveur,
las ! n’exhaleront plus que l’odeur de la lampe !
Herrick publia l’ensemble de son oeuvre en 1648, mais les 2 poèmes dédiés au Sack dateraient des années 20-30 (dixit ChatGPT!)

Pour en savoir plus sur Robert Herrick, voir cet article

































