Welcome to Sack

Nous allons parler d’un poète anglais, Robert Herrick, déjà rencontré en nous intéressant au « Wassailing« , cette pratique britannique du toast porté encore aujourd’hui jusqu’aux arbres fruitiers pour lesquels Herrick a composé un quatrain fameux.

Robert Herrick

Disons tout de suite que le Sack est le nom donné au 16ème siècle par les anglais au vin fortifié qu’ils faisaient venir des Canaries, de Majorque et du sud de l’Espagne. L’origine est discutée. Mais le terme comme la chose était populaire. Ainsi Shakespeare fait-il dire à Falstaff :
« If I had a thousand sons, the first humane principle I would teach them should be, to forswear thin potations and to addict themselves to sack. »

Falstaff par Grützner

Pour parler de Robert Herrick, nous nous basons sur la thèse de 600 pages écrite en 1911 par FLORIS DELATTRE, professeur d’anglais au lycée Charlemagne, et sur la synthèse en 30 pages que lui a consacré Camille Chemin, professeur au lycée de Caen, dans la Revue Pédagogique, en 1913.
L’homme, né en 1591, vécut une vie d’étudiant assez dissolue au Trinity Hall à Cambridge.

« On s’habille de couleurs extravagantes. On fume partout, jusque dans le hall de Trinity, et même dans l’église de St Mary. On assiste aux combats d’ours et de chiens. On danse, malgré la défense expresse des Proctors. »
« On fréquente beaucoup les tavernes,… On y joue aux cartes ou aux dés, et on y boit ferme, Les jeunes poètes, oubliant de parler latin, y lisent leurs premières œuvres au milieu des applaudissements tapageurs, et Herrick a pu y déclamer quelque version primitive de sa Bienvenue au Vin des Canaries ». 

« Welcome to the Sack » est en effet un des deux fameux poèmes écrits par Herrick à la gloire du Sack. Il y dit « son ravissement à retrouver sa liqueur aimée, dont l’éloignement lui avait été si cruel… la comparaison de la liqueur avec une épousée est reprise ici et poussée à l’extrême. La boisson est divine, elle est la Douce Amie, la Sainte du poète. Elle est son allégresse, sa force, et rien ne pourra plus à présent l’en séparer.« 

The Merry Drinker de Frans Hals 1627

En voici un extrait (le poème entier compte 92 vers) traduit par Floris Delattre (en v.o. ici)

..Bienvenue, bienvenue, ô mon illustre épouse ;
sois bienvenue, ô toi qui couronnes mes vœux.
Encor mieux accueillie que l’est la terre heureuse
quand, après maints travaux, ballotté par les vents,
le marchand la salue de ses pleurs, découvrant
les toits de son Ithaque où montent des fumées.
Où donc t’en allas-tu si longtemps, loin de moi,
pauvre chère exilée ? tes grâces mécontentes
avaient-elles voulu s’enfuir, et, un moment,
prodiguer leurs faveurs à des climats nouveaux ?
ou bien t’éloignas-tu pour que ta courte absence
excitât plus d’amour et plus d’ardeur en moi ?
D’où vient, ma Belle, ton courroux ? Pourquoi, ma Sainte,
refuser ton sourire à ton fervent dévot ?…
Ai-je été froid dans mes caresses ? négligent,
trop modéré dans mes étreintes ? le désir
de toi s’est-il éteint dans l’âtre, et nulle braise
ne vit-elle en le tas de cendres remuées,
y préservant au moins l’éclat d’une étincelle ? 
Aurais-je divorcé d’avec toi, pour m’unir
en fougueux adultère avec un autre vin ?
Certes, je te quittai, je l’avoue, mais proteste
que je le fis pour mieux affermir mon ardeur,
et pour doubler l’amour que je te porte, ainsi
que font ceux dont la haine enflamme la passion…

Mais tout a une fin, et sans doute contraint par ses excès, ou par un retour à la raison suite à sa nomination comme vicaire dans le Devon, il écrivit son Farewell to the Sack (en v.o. là)

« Il y chante l’affection qu’il porte à la généreuse liqueur, tout le véritable amour même dont il l’enveloppe, comme il ferait d’une maîtresse adorée. Bien qu’il soit contraint de s’éloigner d’elle, et de sa  » beauté ensorcelante, » il l’assure que son admiration amoureuse ne faiblira point. Citons seulement ici le début et la fin du poème :

Adieu, toi qui jadis m’étais si familier,
si cher, comme le sang à la vie, plus intime
que ne sont des parents, des amis, homme et femme,
plus que des époux même, ou que l’âme et le corps?,
vie animant nos jours, ou le flanc doux et chaud
de l’épousée qui se résigne, mais résiste.
Baisers de vierges, et prémices de la couche,
caresses, tendres mots, lèvres, virginité,
et mille autres douceurs ne purent jamais être
plus intimes, plus chères que tu fus pour moi.
O toi nectar des dieux et des anges, ô vin
qui répands le désir et l’ardeur, dont l’éclat
semble plus radieux qu’un pur soleil d’été…

……
Mais pourquoi plus longtemps te contempler ainsi 
d’un regard plein d’amour et d’admiration, 
puisque je suis contraint de te quitter, de dire : 
« éloigne-toi » à ta beauté ensorcelante ?… 
Que d’autres librement te boivent ; qu’ils désirent 
un baiser conjugal de tes lèvres ; pour moi
t’admirant et t’aimant, plus ne te goûterai. 
Que ma Muse, privée de tes secours d’antan, 
n’ait désormais recours qu’à sa force première ; 
et mes vers, jusqu’ici tout pleins de ta saveur, 
las ! n’exhaleront plus que l’odeur de la lampe !

Herrick publia l’ensemble de son oeuvre en 1648, mais les 2 poèmes dédiés au Sack dateraient des années 20-30 (dixit ChatGPT!)

Pour en savoir plus sur Robert Herrick, voir cet article

saisons douloureuses

Fritz Vanderpyl (1876-1965), néerlandais immigré à Paris en 1899, poète et critique d’art aujourd’hui presque totalement oublié, a publié en 1907 dans son recueil de poésies « les saisons douloureuses » deux sonnets bachiques « à la mémoire d’Omar Khayyàm« , que son biographe Daniel Cunin, qui le qualifiait d' » infréquentable bon vivant parmi la bohème artistique parisienne« , a eu le bon goût de nous faire connaitre. Les voici.

Sonnet I

sonnet II


Celui qui parle ici n’a que trente ans, il se voit déjà vieux et ridé, en proie à la peur de mourir sans avoir « écrit ce qu’on eût dû écrire ». Ah ! Cet ange au « grand verre tentant » !
Le vin est ici l’ami dangereux qui nous éloigne du bon chemin.

Omar Khayyam, lui, était déjà un grand savant lorsqu’il écrivit ses quatrains. Le vin ne s’oppose pas pour lui à l’accomplissement personnel, il en serait plutôt la récompense.
Qui donc bois du vin, si ce n’est le sage ? dit-il,
et aussi :

Bois du vin…c’est lui la vie éternelle,
C’est le trésor qui t’es resté des jours de ta jeunesse :
La saison des roses et du vin, et des compagnons ivres !
Sois heureux un instant, cet instant c’est ta vie.

Le fond de la besace

Voici une chanson que l’on n’ entend plus guère, et qui eut son heure de gloire aux 18ème et 19ème siècle, si l’on en croit Charles Nisard, auteur en 1867 de l’ essai historique « DES CHANSONS POPULAIRES chez les anciens et chez les français ».

Cette chanson moque des moines qui font bombance en oubliant leurs compagnons. Nous verrons comment ceux-ci voudront se venger et ce qu’il en advint.
Nous sommes bien là dans une tradition rabelaisienne, que l’auteur décrit ainsi : « Il n’ a rien de plus agile, de plus spirituel et de plus malin que le Fond de la besace. On dirait que le souffle de Voltaire a passé la-dessus ».
Et plus loin il confesse : « Je l’avoue humblement, il n’y a guère de chansons que nous n’ayons plus chantées que celle-ci, mes camarades de collège et moi, aux heures de promenades et de récréations… »

les 3 frères Etienne, Eugène et François

Un jour le bon frère Etienne
Avec le joyeux Eugène,
Tous deux la besace pleine,
Suivis du frère François,
Entrant tous à la Galère*,
Y firent si bonne chère
Aux dépens du monastère,
Qu’ils s’enivrèrent tous trois.

Ces trois grands coquins de frères,
Perfides dépositaires
Du dîner de leurs confrères,
S’en donnent jusqu’au menton :
Puis, ronds comme des futailles,
Escortés de cent canailles,
Du corps battant les murailles,
Regagnèrent la maison.

Le portier, qui les voit ivres,
Leur demande où sont les vivres.
« Bon ! dit l’autre, avec ses livres,
Nous prend-il pour des savants ?
Je me passe bien de lire,
Mais pour chanter, boire et rire,
Et tricher la tirelire,
Bon! à cela je m’entends.»

Au réfectoire on s’assemble,
Vieux dont le râtelier tremble
Et les jeunes tous ensemble
Ont un égal appétit.
Mais, ô fortune ennemie !
Et bien fou qui s’y confie,
C’est ainsi que dans la vie,
Ce qu’on croit tenir nous fuit.

Arrive frère Pancrace,
Faisant piteuse grimace
De ne rien voir à sa place,
Pour boire ni pour manger.
A son voisin il s’informe,
S’il serait venu de Rome,
Quelque bref portant réforme
Sur l’usage du dîner.

« Bon ! répond son camarade,
N’ayez peur qu’on s’y hasarde,
Sinon, je prends la cocarde
Et je me ferai Prussien.
Qu’on me parle d’abstinence
Quand j’ai bien rempli ma panse,
J’y consens ; mais sans pitance,
Je suis fort mauvais chrétien.

Resterons-nous donc tranquilles
Comme de vieux imbéciles ?
Répliqua père Pamphile
Oh ! pour le moins vengeons-nous ;
Prenons tous une sandale,
Et sans la crainte du scandale,
Allons battre la cymbale
Sur les fesses de ces loups. »

Chacun ayant pris son arme,
Fut partout porter l’alarme ;
Mais au milieu du vacarme,
Frère Etienne fit un p…
Mais un p… de telle taille,
Que jamais jour de bataille,
Canon chargé de mitraille,
Ne fit un pareil effet.

Ainsi finit la mêlée ;
Car la troupe épouvantée,
S’enfuyant sur la montée,
Pensa se rompre le cou ;
Tandis que le frère Etienne,
Riant à perte d’haleine,
Et, frappant sur sa bedaine,
Amorçait un second coup.

* un cabaret situé rue Saint-Thomas-du-Louvre (disparue vers 1850)

Les paroles sont de je ne sais qui (anonyme). S’appuyant sur la phrase « et je me ferais prussien », Nisard date la chanson de l’époque de la guerre de sept ans (1756-1763).

L’air est celui des Trembleurs de Lully (Isis, 1677), consigné dans la Clé du Caveau (731),  dont s’inspirera Purcell pour son fameux Cold Song dans King Arthur (1691), et que reprendront des dizaines d’oeuvres comme on peut le voir sur le site Theaville.

 

Des chansons bachiques, dont Nisard va chercher les origines jusqu’aux scolies des Grecs (Alcée, Anacréon, Simonide), son ouvrage en écrit l’histoire, jusqu’à la glorieuse époque du Caveau fondé en 1729 ou 35, c’est selon, dont il cite les plus populaires à son époque :

« Plus on est de fous, plus on rit », et « l’Eloge de l’eau », avec le refrain :
C’est l’eau qui nous fait boire Du vin (ter);
l’une et l’autre d’Armand Gouffé;
le Cabaret: « A boire je passe ma vie »,., par J.-J. Lucet; le Mouvement perpetuel,« Loin d’ici, sœurs du Permesse, » etc., et le refrain fameux « Remplis ton verre vide, Vide ton verre plein, » etc.; Vive le vin! la Barque à Caron; les Glouglous; plus récemment, une demi-douzaine de chansons de Désaugiers, comme le Panpan bachique :
Lorsque le champagne. Fait en s’échappant Pan pan, Ce doux bruit me gagne L’âme et le tympan
le Délire bachique:
Quand on est mort, c’est pour longtemps. Dit un vieil adage Fort sage
le Carillon bachique :
Et tic, et tic et tic, et toc et tic, et tic et toc, De ce bachique tintin Vive le  son argentin
enfin le « Nec plus ultra de Grégoire »

J’ai Grégoire pour nom de guerre. 
J’eus en naissant horreur de l’eau
Jour et nuit, armé d’un grand verre
Lorsque j’ai sablé mon tonneau,
Tout fier de ma victoire
Encore ivre de gloire,
Reboire,
Voilà,
Voilà
Le Nec plus ultra
Des plaisirs de Grégoire

Ensuite, « dès que Béranger commença de faire un peu de bruit… Lui seul ou à peu près chanta pendant trente ans, et l’on ne chanta que ce qui venait de lui. »

Mais nous avons vu qu’on n’en avait pas fini avec la chanson bachique…

Wassail

C’est ce qu’on dit encore aujourd’hui en Angleterre pour porter un toast à l’époque de Noël. Nous avons déjà rencontré cette expression d’origine nordique qui veut dire à votre santé.

Elle a donné son nom à un breuvage que l’on boit en Angleterre à Noël et jusqu’à la nuit des rois (la 12ème nuit voire au delà), à base de cidre chaud, ou de bière, d’hydromel, d’épices, les recettes varient.

En 1913 Camille Chemin, professeur au lycée de Caen, écrivait dans un article consacré au poète Robert Herrick (1591-1674) : «   A Christmas …on boit le wassail, liqueur antique « faite d’ale, de noix muscade, de gingembre, de sucre, où l’on ajoutait des rôties de pain ou de pommes sauvages ».

L’histoire du vocable est contée par Gabe Cook, un expert en cidrologie.

ci-dessus présentant une bouteille de cidre à la reine Elizabeth

Il la fait remonter au 8ème siècle, au temps des vikings conquérants qui disaient vas heil en vieux norrois, expression qui devint wes hael en vieil anglais, formule utilisée dès lors comme formule de boisson, à quoi les anglo-saxons répondaient drinc hail ! A partir du 9ème siècle, waes hail  devient le nom du breuvage accompagnant le plus souvent ces libations.

On en saura plus en lisant l’article » Les nombreuses significations du wassail » sur The ciderologist.

La coutume du wassailing se répandit en Angleterre. Lors de la nuit des rois, les manants allaient de porte en porte, chantant et offrant à boire en échange de dons.

wassailing, une illustration de Jack et le haricot magique (the beanstalk)

Ces chants différaient d’une région à l’autre, en voici quelques uns.

wassail du Kent: wassail, drincail, to you a hearty wassail !

wassail de Gower (pays de Galles): Fal the dal, drink and be merry it’s a jolly wassail !

wassail de l’Essex : come listen to our call !

Gloucestershire Wassail

Wassail, wassail all over the town!
Our toast it is white and our ale it is brown;
Our bowl it is made of the white maple tree;
With the wassailing-bowl we’ll drink to thee!

une autre version dans un verger.

Et en effet, plus étonnant, le waissaling des arbres fruitiers (Orchard-visiting Wassail) est une coutume toujours vivante où les pratiquants vont de verger en verger boire à la santé des arbres fruitiers pour qu’ils produisent des fruits en quantité.
Ce court poème de Robert Herrick évoque cette tradition

Wassail the trees, that they may bear
You many a plum, and many a pear:
For more or less fruits they will bring,
As you do give them wassailing
.

Les pommiers à cidre faisaient l’objet d’un culte particulier :

Apple tree, apple tree, we all come to wassail thee,
Bear this year and next year to bloom and to blow,
Hat fulls, cap fulls, three cornered sack fills,
Hip, Hip, Hip, hurrah,
Holler biys, holler hurrah.

On trouvera de nombreuses paroles et chants dans ce toolkit

Un petit résumé en anglais ?

Chanter me fait bons vins…

Chanter me fait bons vins ety resjoïr… Voici une chansons bien ancienne, qui illustre une histoire étonnante contée par David B. et dessinée par Eric Lambé dans leur BD Antipodes.

C’est une sorte de conte philosophique qui raconte l’incroyable destinée d’un colon français au 16ème siècle, sauvé de la dévoration par ses chants qui émerveillent ses ravisseurs Tupinambas, une peuplade brésilienne en butte aux envahisseurs venus d’Europe : chants religieux, chants de guerre, d’amour et cet air bachique qui remonte au 13ème siècle.

Il y avait là de quoi éveiller notre curiosité. Ce chant est cité dans Chansons satiriques et bachiques du 13ème siècle, éditées par Jeanroy et Långfors en 1921

En voici les paroles

L’air du refrain serait celui-ci, d’après le site refrain.ac.uk

Cette chanson est aussi rapportée comme une chanson « du Nord de la France ou du midi de la Belgique » dans « Trouvères, jongleurs et ménestrels » d’Arthur Finaux (1803) (page XXVIII).

L’occasion faisant le larron, on y trouve trois autres chansons bachiques dans le recueil : Or Hi Parra, Seignors or entendez a nus, et Bon vin lon doit li tirer .

L’auteur d’Or Hi Parra, ode à la cervoise, s’est manifestement amusé à parodier un air religieux. Bevez bel et bevez bien !

Screenshot
Screenshot

On peut l’écouter par The Tavern

La chanson suivante, Seignors or entendez a nus, n’est pas à proprement parler une chanson bachique, c’est un chant de Noël, mais son final est intéressant :

Seignors, jo vus di par Noël
E par li sires de cest hostel,
Car bevez ben ;
E jo primes* (en premier) beverai le men,
E pois après chescon le soen
Par mon conseli ;
Si jo vus dis trestoz : Wesseyl,* (Wes Heil, « portez vous bien »)
Dehaiz* (malheur à celui) eit qui ne dira Drincheyl* (« Drinc Heil » Buvez et profitez bien).

Les annotations sont reprises de l’article de Frédéric Effe sur moyenagepassion.com

Cette chanson décrit comment porter un toast en langue germanique. Le porteur du toast dit » « Wes Heil » et boit le premier, et tous répondent « Drinch Heil » et boivent ensuite. On constate que Heil, qui signifie « salut » en allemand, a, comme en français, pour sens primitif : « santé« .

Venons en à la quatrième chanson du recueil : Bon vin lon doit li tirer, connue aussi par l’ incipit du 2ème couplet « quant ie le boi » et le refrain Cis chant veult boire

De celui-là nous avons déjà parlé, il apparait dans le roman de Fauvel, il en existe plusieurs enregistrements à réécouter avec plaisir.

On en trouvera une traduction et une analyse dans l‘article « chansons à boire et à manger » d’Anne Ibos-Augé paru dans Le ventre et l’oreille, « revue culturelle d’expressions musicales et culinaires ».

Ergo bibamus !

Ergo bibamus ! Alors buvons !

On trouve cette injonction ancienne dans les Carmina potoria, chansons à boire du manuscrit trouvé en 1803 dans l’abbaye de Benediktbeuern, en Bavière, connu sous le nom (rendu fameux par Carl Orff) de Carmina Burana (nous en connaissons notamment le Bacche bene venies, au répertoire du Souffle de Bacchus).

Ergo bibamus, ne sitiamus, vas repleamus!
Quisque suorum posteriorum sive priorum
Sit sine cura morte futura re()peritura
Ergo bibamus!

(Alors buvons, ne nous assoiffons pas, remplissons le vase ; que chacun n’ ait cure de sa mort future…)

Ergo bibamus – extrait du manuscrit

(On peut trouver ici le texte complet, plus facile à lire que le manuscrit)

Le groupe de rock néo-médiéval allemand Corvus Corax (le Grand Corbeau) l’a mis en musique. (Ci-dessous à Munich en 2009)

L’expression ergo bibamus a aussi inspiré Goethe. En 1810 il composa ce poème, qui sera mis en musique en 1813 par Max Eberwein le bien nommé, pour le choeur d’hommes de Carl  Friedrich Zelter :

Hier sind wir versammelt zu löblichen Tun,
Drum Brüderchen, ergo bibamus!
Die Gläser, sie klingen, Gespräche, sie ruhn;
Beherziget: ergo bibamus!
Das heißt noch ein altes, ein tüchtiges Wort
Und passet zum ersten und passet sofort
Und schallet ein Echo, vom festlichen Ort,
|: Ein herrliches: ergo bibamus! 😐

2. Ich hatte mein freundliches Liebchen gesehn,
Da dach ich mir: Ergo bibamus!
Und nahte mich traulich, da ließ sie mich stehn,
Ich half mir und dachte: Bibamus!
Und wenn sie versöhnet euch herzet und küßt,
Und wenn ihr das Herzen und Küßen vermißt,
So bleibet nur, bis ihr was besseres wißt,
|: Beim tröstlichen Ergo bibamus! 😐

3. Mich ruft mein Geschick von den Freunden hinweg;
Ihr Redlichen, ergo bibamus!
Ich scheide von hinnen mit leichtem Gepäck,
Drum doppeltes: ergo bibamus!
Und was auch der Filz vom Leibe sich schmorgt,
So bleibt für den Heitern doch immer gesorgt,
Weil immer dem Frohen der Fröhliche borgt:
|: Drum, Brüderchen: ergo bibamus! 😐

4. Was sollen wir sagen zum heutigen Tag?
Ich dächte nur: ergo bibamus!
Er ist nun einmal von besonderem Schlag,
Drum immer aufs neue: bibamus!
Er führet die Freunde durchs offene Tor,
Es glänzen die Wolken, es teilt sich der Flor,
Da leuchtet ein Bildchen, ein göttliches vor,
|: Wir klingen und singen: bibamus!

« Ici nous sommes assemblés pour une action louable, chers frères : Ergo bibamus ! Les verres tintent, les causeries cessent : avec courage, ergo bibamus ! … » (d’après l’essai sur Goethe d’Edouard Rod 2014)

dessin et partition sur le site mythostheatre.org

Herr Goethe, bibamus ! Voici une interprétation, avec la traduction en anglais, par le groupe Duivelspack.

En voici une autre version, beaucoup plus tonique et enlevée, dûe au compositeur allemand Peter Schindler, extrait de sa cantate Sonne, Mond und Sterne, par le Coro Piccolo Karlsruhe et l’Ensemble Camerata 2000.

On y aura remarqué, entre deux strophes, l’ insertion d’un extrait d’un autre poème de Goethe : Trunken müssen wir alle sein! (nous devons tous être ivres). Ceci mérite quelques éclaircissements.

Le grand poète allemand découvrit à un âge avancé l’éminent poète persan Hafez, qui vivait au 14ème siècle et dérogeait volontiers à la prohibition du vin, les lecteurs du bon clos le savent bien.

L’ensemble de l’oeuvre de Hafez constitue le Divan. Inspiré par sa poésie et sa philosophie, Goethe écrivit son « West-östlicher Divan », recueil de poèmes en 12 livres. Le 9ème est Saki namehDas Schenkenbuch (Le Livre de l’échanson). Plusieurs de ces poésies ont été mises en musique. Trunken müssen wir alle sein! en est une :

Trunken muessen wir alle sein!
Jugend ist Trunkenheit ohne Wein;
Trinkt sich das Alter wieder zu Jugend,
So ist es wundervolle Tugend.
Fuer Sorgen sorgt das liebe Leben
Und Sorgenbrecher sind die Reben.
Da wird nicht mehr nachgefragt,
Wein ist ernstlich untersagt.
Soll denn doch getrunken sein,
Trinke nur vom besten Wein!
Doppelt waerst du ein Ketzer
In Verdammnis um den Kraetzer.

( Ivres, il faut que nous le soyons tous : la jeunesse est une ivresse sans vin ; si le vieillard redevient jeune en buvant, c’est une merveilleuse vertu ; la pauvre vie se tourmente à donner des soucis, et, les soucis, le pampre les chasse.
On ne s’inquiète plus de cela ! Le vin est sérieusement défendu. S’il faut donc que tu boives, ne bois que du meilleur : tu serais un double hérétique, de te damner pour la piquette.)

Ce poème a été mis en musique par Hugo Wolf (1860-1903) à Vienne en 1890

La partition est

Au tout début du livre de l’Echanson, on trouve

sitz ich allein
Wo kann ich besser sein?
Meinen Wein
Trink ich allein;
Und niemand setzt mir Schranken;
Ich hab so meine eignen Gedanken.

(Quand je suis seul à table, où puis-je être mieux ? Je bois mon vin tout seul ; nul ne m’impose de gêne ; je suis à mes pensées) (les traductions du Divan sont de Jean-Jacques Porchat )

le poème a été mis en musique par Robert Schumann.

Un peu plus loin,

Solang man nüchtern ist

[Solang]1 man nüchtern ist, 
Gefällt das Schlechte;
Wie man getrunken hat, 
Weiß man das Rechte;
Nur ist das Übermaß 
Auch gleich zuhanden:
Hafis, o lehre mich, 
Wie du’s verstanden!
Denn meine Meinung ist 
Nicht übertrieben:
Wenn man nicht trinken kann, 
Soll man nicht lieben;
Doch sollt ihr Trinker euch
Nicht besser dünken:
Wenn man nicht lieben kann, 
Soll man nicht trinken.

(Aussi longtemps qu’on est à jeun, on se plaît au mal ; dès qu’on a bu, l’on connaît le bien, seulement l’excès arrive aussi bien vite ; Hafiz, apprends-moi de grâce comment tu l’entendais. Car mon avis n’est pas exagéré : si l’on ne peut boire, on ne doit pas aimer ; mais, vous, buveurs, il ne faut pas vous croire en meilleure position : si l’on ne peut aimer, on ne doit pas boire.)

Ce poème a été mis en musique par Hugo Wolf (ici la partition)

et aussi par Mendelssohn, c’est bien plus « tonique « , non ?

Il reste à se défendre contre les critiques

Sie haben wegen der Trunkenheit
Vielfältig uns verklagt
Und haben von unsrer Trunkenheit
Lange nicht genug gesagt.
Gewöhnlich der Betrunkenheit
Erliegt man, bis es tagt;
Doch hat mich meine Betrunkenheit
In der Nacht umhergejagt.
Es ist die Liebestrunkenheit,
Die mich erbärmlich plagt,
Von Tag zu Nacht, von Nacht zu Tag
In meinem Herzen zagt,
Dem Herzen, das in Trunkenheit
Der Lieder schwillt und ragt,
Daß keine nüchterne Trunkenheit,
Sich gleich zu heben wagt.
Daß keine nüchterne Trunkenheit
Ob’s nachtet oder tagt,
Die göttlichste Betrunkenheit,
Die mich entzückt und plagt.

(Ils nous ont fait mille reproches au sujet de l’ivresse, et n’en ont jamais assez dit sur notre ivresse. Pour l’ordinaire, on est enseveli dans l’ivresse jusqu’au matin, mais, cette nuit, mon ivresse m’a fait courir de tous côtés : c’est l’ivresse de l’amour qui cruellement me tourmente, et, du jour à la nuit, de la nuit au jour, tremble dans mon cœur, dans mon cœur, qui se dilate et s’élève par l’ivresse des chansons, si bien que nulle froide ivresse n’ose rivaliser avec elle. Ivresse de l’amour, des chants et du vin, qu’il fasse jour ou nuit, ivresse divine, qui me charme et me tourmente !)

partition de Wolf

(ce poème aurait aussi été mis en musique aussi par Otto Klemperer)

De ce qui précède, on pourra retenir ces deux maximes :
« Si l’on ne peut aimer, on ne doit pas boire »,
et
« Le vin est sérieusement défendu. S’il faut donc que tu boives, ne bois que du meilleur : tu serais un double hérétique, de te damner pour la piquette. »

Ergo bibamus !

Astuce utile

Qui ne s’est jamais retrouvé avec un bouchon au fond d’une bouteille ? Comment s’en sortir (et le faire sortir )?
La réponse est bien connue des experts, mais est toujours bonne à se remémorer.

Il suffit d’un torchon…

Et merci à l’Université de Lille.

Avec un sac plastique, ça marche aussi !

Un simple torchon, eh oui ! Pour s’en souvenir, retenons ces vers :

Ci-gît au fond d’une bouteille, un triste bouchon,
Pour l’en sortir il suffit d’un simple torchon.

Pendant qu’on y est, comment faire pour déboucher une bouteille sans tire-bouchon ? Avec une chaussure, bien sûr ! En mode haiku,

Sans ton tire-bouchon
T
es bien démuni mon gars
Pense à ta chaussure !

Etonnant, non ?

les chansons de Boileau

Décidément, ce poète est présent dans nos colonnes. Nous citions il y peu son repas ridicule, à propos de l’expression « rouge-bord », et plus anciennement une chanson à boire, écrite à 17 ans, « au sortir de mon cours de philosophie« .

Philosophes rêveurs, qui pensez tout savoir,
Ennemis de Bacchus, rentrez dans le devoir:
Vos esprits s’en font trop accroire.
Allez, vieux fous, allez apprendre à boire.
On est savant quand on boit bien:
Qui ne sait boire ne sait rien.

S’il faut rire ou chanter au milieu d’un festin,
Un docteur est alors au bout de son latin:
Un goinfre en a toute la gloire.
Allez, vieux fous, allez apprendre à boire.
On est savant quand on boit bien:
Qui ne sait boire ne sait rien.

Cette « chanson à boire du bon vieux temps » a été mise en musique « à l’ancienne » par Camille Saint-Saëns en 1885 (voir la partition ici)

Boileau en a écrit deux autres, dont on ne connait pas de musique…

Chanson A Boire II (vers 1653-56)

Soupirez jour et nuit sans manger et sans boire;
Ne songez qu’à souffrir;
Aimez, aimez vos maux, et mettez votre gloire
À n’en jamais guérir.
Cependant nous rirons
Avecque la bouteille,
Et dessous la treille
Nous la chérirons.

Si sans vous soulager une aimable cruelle
Vous retient en prison,
Allez aux durs rochers, aussi sensibles qu’elle,
En demander raison.
Cependant nous rirons
Avecque la bouteille,
Et dessous la treille
Nous la chérirons.

Chanson à boire III (1672)

Celle-là demande quelques explications : le château de Basville, sur l’actuelle commune de Saint-Chéron dans l’Essonne, appartenait à Guillaume Ier de Lamoignon, marquis de Basville, magistrat français, premier président du Parlement de Paris, nommé par Mazarin. Il y recevait ses amis gens de lettres, notamment Boileau avec qui il était très lié. Arbouville, un de ses parents. On devait bien boire à sa table !
Bourdaloue (à Paris) et Escobar (à Valladolid) étaient des prédicateurs de renom. Le second jugé laxiste eut ses oeuvres condamnées par le pape Innocent XI.

Que Bâville me semble aimable, 
Quand des magistrats le plus grand 
Permet que Bacchus à sa table 
Soit notre premier président! 
Trois muses, en habit de ville, 
Y président à ses côtés: 
Et ses arrêts par Arbouville 
Sont à plein verre exécutés. 
Si Bourdaloue un peu sévère 
Nous dit, Craignez la volupté; 
Escobar, lui dit-on, mon Père, 
Nous la permet pour la santé. 
Contre ce docteur authentique 
Si du jeûne il prend l’intérêt, 
Bacchus le déclare hérétique, 
Et janséniste, qui pis est.

Terminons cet article avec une chanson anonyme du 18ème siècle, mise en musique par Erick Satie dans son recueil de chansons (1920) :

C’est mon trésor, c’est mon bijou,
Le joli trou par où
Ma vigueur se réveille…
Oui, je suis fou, fou, fou,
Du trou de ma bouteille.

Quel coquin ce Satie !

L’autre « Brindisi »

En 1845, bien avant la Traviata (créée en 1853) et son Brindisi fameux, Verdi avait composé une romance portant ce titre, sur un poème d’Andrea Maffei.

Merci au chanteur Remi Charles Caufman,

que nous avons vu récemment sublimer le rôle de Vertigo dans le Pépito d’Offenbach, qui nous en a informé.

Mescetemi il vino! Tu solo, o bicchiero,
Fra gaudi terreni non sei menzognero,
Tu, vita de’ sensi, letizia del cor.
Amai; m’infiammaro due sguardi fatali;
Credei l’amicizia fanciulla senz’ali,
Follia de’ prim’anni, fantasma illusor.

Mescetemi il vino, letizia del cor.

L’amico, l’amante col tempo ne fugge,
Ma tu non paventi chi tutto distrugge:
L’età non t’offende, t’accresce virtù.
Sfiorito l’aprile, cadute le rose,
Tu sei che n’allegri le cure noiose:
Sei tu che ne torni la gioia che fu.

Mescetemi il vino, letizia del cor.

Chi meglio risana del cor le ferite?
Se te non ci desse la provvida vite,
Sarebbe immortale l’umano dolor.
Mescetemi il vino! Tu sol, o bicchiero,
Fra gaudi terreni non sei menzognero,
Tu, vita de’ sensi, letizia del cor.

(voir la traduction en français par Guy Lafaille en fin d’article)

Voici la version de Klara Takacs

Et voici une version masculine, avec le tenor Marco Baratta

Toast

Versez-moi du vin ! Toi seul, ô verre,
Parmi tous les plaisirs terrestres n'est pas un mensonge,
Toi, la vie des sens, la joie du cœur.
J'ai aimé ; deux regards fatals m'ont enflammé,
J'ai cru à l'amitié d'une jeune fille sans ailes,
Folie de jeunesse, fantasme illusoire.

Versez-moi du vin, la joie du cœur.

L'ami, l'amant fuira avec le temps,
Mais tu n'as pas peur ce qui détruit tout :
L'âge ne t'offense pas, il accroît ton courage.
Avril s'est fané, les roses sont tombées,
Tu es celui qui éclaire les soucis ennuyeux,
C'est toi qui ramènes la joie qui fut.

Versez-moi du vin, la joie du cœur.

Qui mieux que toi peut soigner le cœur de ses blessures ?
Si tu ne nous avais pas donné la vigne prévoyante,
La douleur humaine serait immortelle.
Versez-moi du vin ! Toi seul, ô verre,
Parmi tous les plaisirs terrestres n'est pas un mensonge,
Toi, la vie des sens, la joie du cœur.

Cabaret viticole

Belle découverte que celle de ce quatuor venu d’Alsace (Sébastien Dubourg au piano, Nathalie Cawdrey à la flûte, Cécile Bienz à la clarinette, et Marine Nuss au saxo), tout à la fois chanteurs, instrumentistes, acteurs, qui a monté ce spectacle autour de l’amour et du vin.

On pouvait le voir vendredi soir au Château Bonisson, dans les coteaux d’Aix-en-Provence, et encore ce dimanche soir au domaine de la Citadelle, à Ménerbes dans le Luberon.

On. a ainsi pu écouter voir une vingtaine de chansons, des traditionnelles aux voix et arrangements travaillés (Il est des nôtres, le tourdion, qui veut chasser une migraine, de vigne en terre…), des modernes ( (le vin de l’assassin,j’ai bu, je suis soûl/s, ami remplis mon verre, quand j’suis paf…) de nos grands auteurs (La Fontaine, Baudelaire, Ferré, Aznavour, Brel, Nougaro, Mick Micheyl…), et d’autres qu’on n’a pas pu identifier, peut-être des originales de Sébastien Dubourg ? de la metteur en scène Marcela BERNARDO ?

Un spectacle d’un très bon niveau donc, dont on espère qu’il tournera !

les suivre :https://www.facebook.com/cabaretviticole/

Un avant-goût ?

Vous en redemandez ?

https://www.facebook.com/watch/?v=122285546313324

Et merci de sortir de l’oubli Marc Antoine Girard de Saint Amand et sa Débauche…

Nous perdons le temps à rimer,
Amis, il ne faut plus chommer ;
Voicy Bacchus qui nous convie
A mener bien une autre vie ;
Laissons là ce fat d’Apollon,
Chions dedans son violon ;
Nargue du Parnasse et des Muses,
Elles sont vieilles et camuses ;
Nargue de leur sacré ruisseau,
De leur archet, de leur pinceau,
Et de leur verve poetique,
Qui n’est qu’une ardeur frenetique ;
Pegase enfin n’est qu’un cheval,
Et pour moy je croy, cher Laval[2],

Que qui le suit et luy fait feste
Ne suit et n’est rien qu’une beste.
Morbieu ! comme il pleut là dehors !
Faisons pleuvoir dans nostre corps
Du vin, tu l’entens sans le dire,
Et c’est là le vray mot pour rire ;
Chantons, rions, menons du bruit,
Beuvons icy toute la nuit,
Tant que demain la belle Aurore
Nous trouve tous à table encore.
Loing de nous sommeil et repos ;
Boissat[3], lors que nos pauvres os
Seront enfermez dans la tombe
Par la mort, sous qui tout succombe,
Et qui nous poursuit au galop,
Las ! nous ne dormirons que trop.
Prenons de ce doux jus de vigne ;
Je voy Faret qui se rend digne
De porter ce dieu dans son sein,
Et j’approuve fort son dessein.
Bacchus ! qui vois nostre desbauche,

Par ton sainct portrait que j’esbauche
En m’enluminant le museau
De ce trait que je boy sans eau ;
Par ta couronne de lierre,
Par la splendeur de ce grand verre,
Par ton thirse tant redouté,
Par ton eternelle santé,
Par l’honneur de tes belles festes,
Par tes innombrables conquestes,
Par les coups non donnez, mais bus,
Par tes glorieux attribus,
Par les hurlemens des Menades,
Par le haut goust des carbonnades,
Par tes couleurs blanc et clairet,
Par le plus fameux cabaret,
Par le doux chant de tes orgyes,
Par l’esclat des trognes rougies,
Par table ouverte à tout venant,
Par le bon caresme prenant,
Par les fins mots de ta cabale,
Par le tambour et la cymbale,
Par tes cloches qui sont des pots,
Par tes soupirs qui sont des rots
Par tes hauts et sacrés mysteres,
Par tes furieuses pantheres,
Par ce lieu si frais et si doux.
Par ton boucq paillard comme nous
Par ta grosse garce Ariane,
Par le vieillard monté sur l’asne,
Par les Satyres tes cousins,
Par la fleur des plus beaux raisins,
Par ces bisques si renommées,
Par ces langues de bœuf fumées,
Par ce tabac, ton seul encens,
Par tous les plaisirs innocens,

Par ce jambon couvert d’espice,
Par ce long pendant de saucisse,
Par la majesté de ce broc,
Par masse, toppe, cric et croc,
Par cette olive que je mange,
Par ce gay passeport d’orange,
Par ce vieux fromage pourry,
Bref, par Gillot, ton favory,
Reçoy-nous dans l’heureuse trouppe,
Des francs chevaliers de la couppe,
Et, pour te montrer tout divin,
Ne la laisse jamais sans vin.