Nous revoici à Bruniquel, où comme chaque année une oeuvre du maestro Offenbach est montée, avec toujours la même ferveur, le même enthousiasme de la troupe rassemblée autour de Frank T’Hézan et de Jean-Christophe Keck.
(Pour tout dire il l’a été déjà en 2008 à Bruniquel)
Résumons l’affaire : le comte Hector (Toto) qu’une vie dissolue a mis sur la paille, revient au village pour vendre son château. Vieilles rivalités, intrigues, invraisemblables péripéties et autres loufoqueries n’empêcheront pas qu’à la fin, c’est l’amour qui gagne !
Ce n’est peut-être pas une oeuvre majeure du maître, mais elle a ses mérites, dont une jolie chanson à boire à la fin du 2ème acte : Après la vente du château, Toto (Aude Fabre) fait apporter du vin et offre une tournée générale !
On peut aussi écouter cette version plus complète enregistrée sous la direction d ‘Alfred Herzog en 2002-2003 (Laetitia Ithurbide est Hector de la Roche-Trompette, dit Toto). Et merci à l’ami Bernard de nous l’avoir transmise.
(On trouvera le livret de Meilhac et Halévy sur Wikisource)
C’est du vin, oui, du vin, Et quel vin, du vin fin. Ils tremblaient / Ils craignaient Qu’on portât / De l’orgeat. Car l’orgeat / On sait ça, Fait mal à / L’estomac. Le vin vieux / Vaut bien mieux Et nous rend / Bien portant. Boire trop /De sirop Affadit, / Refroidit, Mais on peut / Tant qu’on veut, Sans danger, / Se gorger De bon vin ; / C’est très-sain. Et ça fait / Que l’on est Tout à fait / Guilleret.
On appréciera ces vers à 3 pieds !
Bons villageois tendez vos verres Et buvez le vin de mes pères. Buvons, buvons, mes chers amis, Buvons, et ceux qui seront gris Dans des voitures seront mis, Et chez eux seront reconduits ; Dans leurs lits on les couchera, Toute la nuit on dormira, Et quand le jour reparaîtra, Qui voudra se regrisera
(Sadressant aux bouteilles).
N’ayez pas peur, mes bonnes vieilles, Avec respect on vous boira ? Jeunes filles, vieilles bouteilles. La vie est douce avec cela. Buvons mes chers amis, etc.
Les participants, artistes, figurants, spectateurs le savent : le bonheur est là ! Si chaque spectacle se termine par un souper chantant dans les ruines du château et se conclut aux accents du Se Canto, il nous a semblé qu’il manquait une antienne pour accompagner le festival.
On propose donc cette petite composition ,à chanter sur l’air entrainant de la samba brésilienne de Francis Lopez.
Chaque année à Bruniquel On rejoue les immortelles Les opérettes à papa Qui nous laissent baba En dansant sur les pas D’ Offenbach
Chaque été au festival C’est la même bacchanale De tous les enamourés Qui reviennent chanter Car le bonheur est là Ici-bas
Il y a là les vieux de la vieille Les jeunesses, les merveilles Les artistes, les mécènes Et tous ceux qui reviennent Chaque soir par centaines Vivre ça
C’est une oeuvre magnifique Digne des jeux olympiques Quoique de modeste ampleur Car elle unit les coeurs Et prouv’ que le bonheur Il est là
Le concert de Willie Christie et de ses Arts Florissants tenu mardi 25 juin à la Cité de la Musique nous a révélé des parodies bachiques, sorte de goguettes qui détournent des airs d’opéra ou d’opéra-comique.
C’était l’habitude à l’époque classique, où il y avait sans doute plus de rimeurs que de compositeurs et où la reprise d’airs connus du public rendait plus facile la diffusion des nouvelles chansons.
Judith le Blanc a étudié ce phénomène. Dans son article : Le phénomène parodique, révélateur et catalyseur des succès de l’Opéra, elle constate que « Lully est également le compositeur le plus parodié au sens musical du terme, sous la forme de pièces détachées, pendant toute la première moitié du xviiie siècle « , et que « les airs de Lully se diffusent en revanche à la fois horizontalement et verticalement, leur simplicité, leur universalité et leur qualité mnémotechnique, ayant le pouvoir – sinon le charme – de rendre les frontières sociales poreuses « depuis la Princesse jusqu’à la servante de cabaret »
« Pour qu’un opéra ait du succès, il faut en effet que le public puisse s’en approprier des airs, autrement dit, il faut qu’il soit un réservoir de tubes. Un opéra n’a de succès que si le public de l’époque sort du théâtre en en fredonnant certains airs. » « Tout est fait pour faciliter l’apprentissage et la participation du spectateur chantant.»
Pour aller plus loin, voir aussi l’ouvrage publié par Judith le Blanc chez Garnier classiques :
Avatars d’opéras, Parodies et circulation des airs chantés sur les scènes parisiennes (1672-1745)
Les parodies chantées par les Arts Florissants sont dans le recueil « parodies bachiques, sur les airs des symphonies des opéra », paru en 1696.
Il fait la part belle à Lully. Mais les airs joués par les Arts Florissants sont de Marc-Antoine Charpentier (Médée, I : chi témé d’amore =malgré l’esclavage ; III : second air des démons= que sur mer et sur terre ) et de Henry Desmarest (Circé, V: le prélude des vents= lorsque je suis au cabaret). Pas de signature pour les textes, mais des initiales : M.R et Md’Y.
Dommage de ne pas avoir d’enregistrement de ces parodies. Mais on peut écouter les airs originaux, en chantonnant les parodies :
Chi teme d’amore, par le concert spirituel
Malgré l’esclavage où l’amour t’engage De ce doux breuvage Parbleu tu boiras
Le second air des démons, Par les arts florissants
Le prélude des vents, par Boston Early Music Festival Orchestra
Lorsque je suis au cabaret A l’ombre d’un buffet Je me moque du temps…
D’une trop c courte vie, rions et chantons, Vuidons les flacons…
A noter, parmi les dizaines de parodies répertoriées dans le recueil de monsieur Ribon, cette mention du rouge bord dont nous avons parlé il y peu.
Amis je bois un rouge bord, secondez mon effort
Pour les gastronomes, des parodies ont été écrites pour accompagner des recettes de cuisine. Voici le festin joyeux, publié en 1738, (déjà rencontré).
A le parcourir, on réalise que c’est quand même quelque chose, la gastronomie française ! et qu’elle vient de loin…
Pour les amateurs de cuisine au vin, on recommandera par exemple :
Les pigeons au soleil La galantine de poisson Le brochet rôti à la Bavière La matelote aux petits oignons Les soles à l’espagnolle la carpe farcie à l’angloise les truites aux huitres La barbue au court-bouillon les soles à la sainte Menou l’anguille à l’angloise les lottes à l’allemande les vives aux truffes vertes la terrine de poisson Le faisan à la sauce à la carpe, La hure de sanglier, La teste de boeuf à l’angloise Les andouilles de porc Les pieds à la Sainte Menou Les lapereaux à l’espagnole
Elle est au répertoire du Souffle de Bacchus, l’ensemble vocal des Echansons de France.
Béranger a simplement repris un air connu, comme il était d’usage à l’époque : » l’air de la catacoua » , déjà utilisé dans une pièce créée en 1786, « Constance » (source : la base de données théâtre et vaudevilles Théaville), sans doute encore plus ancien.
L’intéressant est qu’un siècle plus tard, en 1913, Camille Saint-Saëns s’empare du sujet et compose sa propre version, qui n’a rien à voir avec l’air classique. En voici quelques interprétations
Celle des Polyphonists, à Emmanuel Episcopal Church in Baltimore, Maryland
C’est une chanson qui peut paraitre un peu fruste, mais elle a ses lettres de noblesse. La Circassienne ou varsovienne (d’autres disent valsovienne) est une danse, une mazurka, ramenée de Pologne par les soldats de Napoléon. Les paroles sont simples :
T’es saoul bonhomme (ter) t’as bu T’as bu bonhomme (ter) t’es saoul..
Elle a été très populaire, notamment en Saintonge et dans le Poitou, et en pays de Brive
Oya Kephale, cette joyeuse troupe lyrique amateur qui nous ravit régulièrement avec des opérettes, opéras-bouffes et comiques (barbebleue en 2022, les brigands l’an dernier), revient au théâtre Armande Béjart d’Asnières avec une oeuvre tardive (1878) d’Offenbach, Madame Favart. Une pépite à ne pas négliger ! C’est jusqu’au 25 mai !
Basée sur l’histoire vraie de Justine, célèbre artiste des années 1750,
épouse de celui qui a donné son nom à la salle de l’opéra-Comique de Paris, Charles Simon Favart,
c’est une histoire rocambolesque où l’on trouve des puissants libidineux (le maréchal de Saxe et le gouverneur d’Artois) qui seront ici mis en échec par cette fine mouche.
Une scène enlevée nous la montre, dans une auberge, charmant les gardes lancés à sa recherche avec des airs populaires (Fanchon, ma mère aux vignes m’envoyit).
MADAME FAVART, CHŒUR DES SOLDATS.
A l’auberge de Biscotin On boit, dit-on, d’excellent vin ! Nous sommes rompus et pour cause, Il faut ici qu’on se repose, Reposons-nous, le verre en main, A l’auberge de Biscotin !
Le vin coule à flot et les gardes seront bientôt gris…
MADAME FAVART, gaîment.
Tendez vos verres… il faut boire !
Elle verse à boire.
TOUS. Buvons, buvons à pleins verres, Aimable et jeune beauté, En braves, galants militaires Nous allons boire à ta santé !
MADAME FAVART, versant.
Buvez, buvez, buvez encore ! Buvez, buvez, buvez toujours !
LE SERGENT, se levant en chancelant.
Ah ! palsanguienne ! je t’adore ! Verse, déesse des amours !
Il tend son verre.
MADAME FAVART, versant. Buvez encore ! Buvez toujours !
LES SOLDATS, buvant et chancelant Buvons encore !Buvons toujours !
MADAME FAVART, bas à Biscotin. Ils sont tous gris !
Au 2ème acte, une autre scène montre les marmitons porteurs de bons mets, appelés par le mari Favart qui n’en peut mais, envahir la scène pour circonvenir un gouverneur bien entreprenant.
LES MARMITONS, entrant et entourant Pontsablé.
Pour que Bacchus le tienne en joie, Nous apportons à monseigneur D’excellents gâteaux de Savoie, Vins exquis et fine liqueur !
version de 2019 à l’opéra Comique
(Spoiler : Le gouverneur n’arrivera pas à ses fins, il sera même démis par le roi)
Quant au maréchal de Saxe, si on ne le voit pas sur scène, il ne lâchera pas l’affaire dans la vraie vie. Mais c’est une autre histoire.
Comme tous les rounds, les catches sont des pièces qui peuvent être répétées indéfiniment et dans lesquelles les différentes voix entonnent la même mélodie à la même hauteur mais en commençant à chanter avec un décalage temporel.
L’origine du terme est floue, il pourrait dériver de l’italien caccia (canon populaire en Italie dès le 14ème siècle, une voix chassant l’autre), ou encore se référer aux saisies du motif par les différentes voix qui attrapent (catch) le flux musical.
The Catch Book : 153 Catches Including the Complete Catches of Henry Purcell de Paul Hillier (1987) (ouvrage consultable à la Médiathèque musicale de Paris).
Henry Purcell en composa de nombreux, une cinquantaine, certains faisant référence au vin dans leur titre, mais bien d’autres aussi dans le texte et les partitions.
Come let us drink, ’tis is vain to think like fools on grief or sadness, let our money fly, and our sorrows die, all worldly care is madness,
But wine and good cheer will, in spite of our fear, inspire our hearts with mirth, boys, the time we live, to wine let us give, since all must turn to earth, boys,
Hand about the bowl, the delight of my soul, and to my hand commend it, a fig for chink! ’twas made to buy drink, and before we go hence we’ll spend it.
Buvons, laissons filer argent et soucis, le vin et la bonne chère inspirent nos coeurs, adonnons au vin, car tout retourne à la terre…
« Down, down with Bacchus » (1693) (Z 247)
Down, down with Bacchus, down, down with Bacchus: from this honor Renounce, renounce the grape’s tyrannick pow’r; Whilst in our large, our large confed’rate bowl, and mingling vertue, chear the soul.
Down with the French, down with the French, march on to Nantz, For whose, for whose dear sake wee’l con’quer France; And when, when th’inspiring cups swell high, their hungry, hungry juice with score, with score defy.
Rouse, rouse, rouse, rouse royal boyes, your forces joyn To rout, to rout the Monsieur and his wine; Then, then, then, then the next year our bowl shall be quaff’d, quaff’d under the vines in Burgundy.
A bas Bacchus et le pouvoir tyrannique de la grappe ! A bas les Français ! Debout ! mettons en déroute le Monsieur et son vin !
« Drink on till night be spent » (1686) (Z 248)
…and sun do shine Did not the gods give anxious mortals wine To wash all care and trouble from the heart ? Why then so soon should jovial fellows part ? Come, let’s give bumper to the next give way Who’s sure to live and drink another day.
Buvons jusqu’au jour ce vin qui nettoie le coeur de tous les soucis, pourquoi se séparer ?
Ecouter aussi l’air à la guitare joué par Noël Akchoté
He that drinks is immortal (1686) (Z 254)
He that drinks is immortal, and can never decay, For wine still supplies, what age wears away. How can he be dust, that moistens his clay?
(celui qui boit est immortel, le vin apporte ce que l’âge emporte)
« Bacchus is a power divine » (Z 360) (celui-ci n’est pas un « catch« , mais un simple « song« )
Bacchus is a pow’r divine, For he no sooner fills my head With mighty wine, But all my cares resign, And droop, then sink down dead.
Then the pleasing thoughts begin, And I in riches flow, At least I fancy so.
And without thought of want I sign, Stretch’d on the earth, my head all around With flowers weav’d into a garland crown’d. Then I begin to live, And scorn what all the world can show or give.
Let the brave fools that fondly think Of honour, and delight, To make a noise and fight Go seek out war, whilst I seek peace and drink.
Then fill my glass, fill it high, Some perhaps think it fit to fall and die, But when the bottles rang’d to make war with me, The fighting fool shall see, when I am sunk, The diff’rence to lie dead, and lie dead drunk.
« Once in our lives let us drink to our wives » (1686) (Z 264)
Buvons à nos femmes… Une interprétation feminine, pourquoi pas ?
Et une singulière interprétation, dramatique, de ce catch humoristique par le poète russe Mikhail Chtcherbakov.
Once in our lives, Let us drink to our Wives, Though their numbers be but small; Heaven take the best, And the Devil take the rest And so we shall get rid of them all: To this hearty wish, Let each man take his dish, And drink, drink till he falls!
« Great Apollo and Bacchus » (Z 251)
Great Apollo and Bacchus one night did dispute… ( les suiveurs qu’Apollon adorent aussi Bacchus !)
« I gave her cakes and I gave her ale » (1690)Z 256
Celui-là parle de bière et de sherry, et de baisers…
« Let us drink to the blades » (1691) Z 259 Buvons à nos lames (au siège de Limerick en 1691)
« Now, now we are met and humours agree » (1688) Z 262
Now now we are met and humours agree, Call, call for wine and lose no time, but let’s merry be ; Fill, fill it about, to me let it come, Fill the glass to the top : I’ll drink every drop supernaculum * A health to the King, round, round, let it pass, Fill it up and then drink it off like men, never balk your glass
to the last drop —used chiefly in the phrase to drink supernaculum
A la santé du Roi, faites passer, remplissez et buvons comme des hommes…sans jamais refuser un verre…
Sum up all the delightsZ275 « A solid enjoyment of bottles and friend … None like wine and true friendship are lasting and pure … Then fill up the glasses until they run o’er Friend and good wine are the charms we adore » (l’amitié et le vin sont les seuls délices qui durent… alors remplissons nos verres°
Et voici pour finir quelques Catches d’autres auteurs trouvés dans « The Catch Book » (le nombre entre parenthèses correspond au classement du Catch Book)
(1) ->Call George again, boy, And for the love of Bacchus, call George again George is a good boy and draws us good wine, Then fills us more claret our wits to refine…
(10) -> drink or dy, doctor tell what will make a sick man well ?
John Eccles (1668-1735)
(41) -> Brisk man never made a mortal stupid Drink, drink, drink… while sober sots look pale, Condemned to claps ans soggy ale…
Anonymouc (Purcell ??) (116) -> Say good Master Bacchus a stride on your butt Since our Champagne’s all gone and our claret ‘run out Which of all the brisk wines in your empire that grow will serve to delight your poor drunkards below? Resolve us grave sir and soon send it over lest we dye of the sin of being sober..
Décidément, ce poète est présent dans nos colonnes. Nous citions il y peu son repas ridicule, à propos de l’expression « rouge-bord », et plus anciennement une chanson à boire, écrite à 17 ans, « au sortir de mon cours de philosophie« .
Philosophes rêveurs, qui pensez tout savoir, Ennemis de Bacchus, rentrez dans le devoir: Vos esprits s’en font trop accroire. Allez, vieux fous, allez apprendre à boire. On est savant quand on boit bien: Qui ne sait boire ne sait rien.
S’il faut rire ou chanter au milieu d’un festin, Un docteur est alors au bout de son latin: Un goinfre en a toute la gloire. Allez, vieux fous, allez apprendre à boire. On est savant quand on boit bien: Qui ne sait boire ne sait rien.
Cette « chanson à boire du bon vieux temps » a été mise en musique « à l’ancienne » par Camille Saint-Saëns en 1885 (voir la partition ici)
Boileau en a écrit deux autres, dont on ne connait pas de musique…
Chanson A Boire II (vers 1653-56)
Soupirez jour et nuit sans manger et sans boire; Ne songez qu’à souffrir; Aimez, aimez vos maux, et mettez votre gloire À n’en jamais guérir. Cependant nous rirons Avecque la bouteille, Et dessous la treille Nous la chérirons.
Si sans vous soulager une aimable cruelle Vous retient en prison, Allez aux durs rochers, aussi sensibles qu’elle, En demander raison. Cependant nous rirons Avecque la bouteille, Et dessous la treille Nous la chérirons.
Chanson à boire III (1672)
Celle-là demande quelques explications : le château de Basville, sur l’actuelle commune de Saint-Chéron dans l’Essonne, appartenait à Guillaume Ier de Lamoignon, marquis de Basville, magistrat français, premier président du Parlement de Paris, nommé par Mazarin. Il y recevait ses amis gens de lettres, notamment Boileau avec qui il était très lié. Arbouville, un de ses parents. On devait bien boire à sa table ! Bourdaloue (à Paris) et Escobar (à Valladolid) étaient des prédicateurs de renom. Le second jugé laxiste eut ses oeuvres condamnées par le pape Innocent XI.
Que Bâville me semble aimable, Quand des magistrats le plus grand Permet que Bacchus à sa table Soit notre premier président! Trois muses, en habit de ville, Y président à ses côtés: Et ses arrêts par Arbouville Sont à plein verre exécutés. Si Bourdaloue un peu sévère Nous dit, Craignez la volupté; Escobar, lui dit-on, mon Père, Nous la permet pour la santé. Contre ce docteur authentique Si du jeûne il prend l’intérêt, Bacchus le déclare hérétique, Et janséniste, qui pis est.
Terminons cet article avec une chanson anonyme du 18ème siècle, mise en musique par Erick Satie dans son recueil de chansons (1920) :
C’est mon trésor, c’est mon bijou, Le joli trou par où Ma vigueur se réveille… Oui, je suis fou, fou, fou, Du trou de ma bouteille.
Dans l »univers lyrique, on appelle ainsi une voix de basse spécialisée dans les emplois comiques. Nous en avons récemment rencontré un beau spécimen lors d’un concert où, aux côtés de Lionel Muzin et d’Isabelle Philippe, il tenait le rôle de Vertigo dans Pepito, de Jacques Offenbach. Il s’agit de Rémi-Charles Caufman.
Nous avons déjà parlé de Pepito, mais nous ne résistons pas au plaisir d’en réécouter 2 airs à boire.
Bruit charmant Doux à mon oreille Pan, pan, pan ! Bruit charmant Du bouchon sautant ! Pan, pan, pan ! Gardien de la liqueur vermeille, Mon pouce aidant, Ouvre-lui vite la bouteille En t’échappant ! Lorsque du bouchon le fil se rompant, Le liège libre, enfin s’échappant S’élance dans l’air et va le frappant, Répétons en chœur son joyeux pan pan !
Bruit plus doux Du nectar qui coule !Gloux, gloux, gloux !… Bruit plus doux, Tu sais plaire à tous ! Gloux, gloux, gloux ! De la rouge et vineuse houle Refrain si doux, Tu rendrais l’oiseau qui roucoule De toi jaloux ! Lorsque du nectar les flots en courroux Jettent à l’oreille leur refrain si doux, Les bras enlacés, nous rapprochant tous, Répétons en chœur les joyeux gloux gloux !
Celui-là nous avait échappé. Trinquons ! moment agréable ! Buvons ! Quel vin délectable !
Rémi-Charles Caufman, né dans un environnement polyglotte et multi-instrumentiste, a déjà une belle carrière derrière lui. Voici quelques illustrations du talent de notre homme.
et d’abord dans la chanson à boire de Francis Poulenc (1922) que les lecteurs historiques du bon clos ont déjà rencontré.
Les rois d’Egypte et de Syrie, Voulaient qu’on embaumât leurs corps,Pour durer plus longtemps morts. Quelle folie!Buvons donc selon notre envie,Il faut boire et reboire encore. Buvons donc toute notre vie,Embaumons-nous avant la mort.Embaumons-nous; Que ce baume est doux.
Le voici aussi dans la jolie fille de Perth, de Georges Bizet (1867). (la partition est là) Quand la flamme de l’amour brûle l’âme nuit et jour, pour l’éteindre quelquefois sans me plaindre moi je bois je ris je chante, je ris je chante et je bois….
(Il y a un autre air à boire dans la jolie fille de Perth qu’on pourra écouter là)
Le voila encore dans les joyeuses commères de Windsor(Die lustigen Weiber von Windsor) d’Otto Nicolaï (1846) : Als Büblein klein an der Mutterbrust (la partoche est là) :Trinken ist keine Schand, Bacchus trank auch, Ja !
On terminera avec l’air de don Magnifico, dans la Cenerentola de Rossini (1817). Ce n’est pas exactement un air à boire, plutôt un air de griserie : Don Magnifico, père de Cendrillon, nommé « sommelier… surintendant des verres, aux pouvoirs illimités… président des vendanges, directeur des libations », pour avoir « goûté à trente barriques » et « bu comme quatre » veut faire afficher dans toute la ville : » l’ordre suivant : ne plus verser, pendant quinze ans, une seule goutte d’eau dans le vin… » pour conclure : « J’offre une prime de seize piastres à qui boira le plus de Malaga ».
En 1845, bien avant la Traviata (créée en 1853) et son Brindisi fameux, Verdi avait composé une romance portant ce titre, sur un poème d’Andrea Maffei.
que nous avons vu récemment sublimer le rôle de Vertigo dans le Pépito d’Offenbach, qui nous en a informé.
Mescetemi il vino! Tu solo, o bicchiero, Fra gaudi terreni non sei menzognero, Tu, vita de’ sensi, letizia del cor. Amai; m’infiammaro due sguardi fatali; Credei l’amicizia fanciulla senz’ali, Follia de’ prim’anni, fantasma illusor.
Mescetemi il vino, letizia del cor.
L’amico, l’amante col tempo ne fugge, Ma tu non paventi chi tutto distrugge: L’età non t’offende, t’accresce virtù. Sfiorito l’aprile, cadute le rose, Tu sei che n’allegri le cure noiose: Sei tu che ne torni la gioia che fu.
Mescetemi il vino, letizia del cor.
Chi meglio risana del cor le ferite? Se te non ci desse la provvida vite, Sarebbe immortale l’umano dolor. Mescetemi il vino! Tu sol, o bicchiero, Fra gaudi terreni non sei menzognero, Tu, vita de’ sensi, letizia del cor.
(voir la traduction en français par Guy Lafaille en fin d’article)
Voici la version de Klara Takacs
Et voici une version masculine, avec le tenor Marco Baratta
Toast
Versez-moi du vin ! Toi seul, ô verre,
Parmi tous les plaisirs terrestres n'est pas un mensonge,
Toi, la vie des sens, la joie du cœur.
J'ai aimé ; deux regards fatals m'ont enflammé,
J'ai cru à l'amitié d'une jeune fille sans ailes,
Folie de jeunesse, fantasme illusoire.
Versez-moi du vin, la joie du cœur.
L'ami, l'amant fuira avec le temps,
Mais tu n'as pas peur ce qui détruit tout :
L'âge ne t'offense pas, il accroît ton courage.
Avril s'est fané, les roses sont tombées,
Tu es celui qui éclaire les soucis ennuyeux,
C'est toi qui ramènes la joie qui fut.
Versez-moi du vin, la joie du cœur.
Qui mieux que toi peut soigner le cœur de ses blessures ?
Si tu ne nous avais pas donné la vigne prévoyante,
La douleur humaine serait immortelle.
Versez-moi du vin ! Toi seul, ô verre,
Parmi tous les plaisirs terrestres n'est pas un mensonge,
Toi, la vie des sens, la joie du cœur.
L’action se situe à Lucques où la princesse Elisa (soeur de Napoléon, incarnée par la soprano Perrine Madoeuf) s’éprend de lui.
la princesse Elisa par Marie-Guilhelmine Benoist en 1805
Après maintes péripéties et autres bouffonneries (avec notamment l’impayable Fabrice Todaro en Pimpinelli) il la laissera finalement pour se consacrer à son destin d’artiste.
On n’a pas été étonné de retrouver dans la distribution l’ami Dominique Desmons, un habitué de Bruniquel, et de le voir animer, au 3ème acte, avec l’excellent Philippe Boulanger, une belle scène de taverne au cabaret du fer à cheval rouillé, où des contrebandiers voient arriver Paganini en fuite et entonnent « Quand on n’a plus un sou vaillant« .
Sitôt qu’on a quelque chagrin Il est un remède souverain
Répondez tous, tous à la fois Bois bois bois Un petit verre bien rempli D’un vieil alcool un peu pâli Et tout de suite c’est l’oubli!
Quand on n’a plus un sou vaillant Que le prêteur est défaillant Te voilà bien Seul comme un chien
Ou ta maîtresse aveuglément A-t-elle pris un autre amant Vas tu rester A regretter ?
Répondez tous, tous à la fois …
Quand ici bas tout meurt en nous Puisque nos rêves les plus doux Sont trop souvent Fumée au vent
Puisque notre coeur vagabond Toujours demande : A quoi bon ? Comment guérir De tant souffrir ?
Répondez tous, tous à la fois …
Il n’est pas facile de trouver un enregistrement de la version française ; en voici un, filmé au théâtre municipal de Tourcoing le samedi 9 janvier 1988.
Et voici la partoche de « Quand on n’a plus un sou vaillant » !
La version originale en allemand est plus facile à trouver. C’est le Schnapslied: « Wenn man das letzte Geld verlumpt ». En voici un enregistrement avec Rudolf Schock & Karl Ernst Mercker