Le fond de la besace

Voici une chanson que l’on n’ entend plus guère, et qui eut son heure de gloire aux 18ème et 19ème siècle, si l’on en croit Charles Nisard, auteur en 1867 de l’ essai historique « DES CHANSONS POPULAIRES chez les anciens et chez les français ».

Cette chanson moque des moines qui font bombance en oubliant leurs compagnons. Nous verrons comment ceux-ci voudront se venger et ce qu’il en advint.
Nous sommes bien là dans une tradition rabelaisienne, que l’auteur décrit ainsi : « Il n’ a rien de plus agile, de plus spirituel et de plus malin que le Fond de la besace. On dirait que le souffle de Voltaire a passé la-dessus ».
Et plus loin il confesse : « Je l’avoue humblement, il n’y a guère de chansons que nous n’ayons plus chantées que celle-ci, mes camarades de collège et moi, aux heures de promenades et de récréations… »

les 3 frères Etienne, Eugène et François

Un jour le bon frère Etienne
Avec le joyeux Eugène,
Tous deux la besace pleine,
Suivis du frère François,
Entrant tous à la Galère*,
Y firent si bonne chère
Aux dépens du monastère,
Qu’ils s’enivrèrent tous trois.

Ces trois grands coquins de frères,
Perfides dépositaires
Du dîner de leurs confrères,
S’en donnent jusqu’au menton :
Puis, ronds comme des futailles,
Escortés de cent canailles,
Du corps battant les murailles,
Regagnèrent la maison.

Le portier, qui les voit ivres,
Leur demande où sont les vivres.
« Bon ! dit l’autre, avec ses livres,
Nous prend-il pour des savants ?
Je me passe bien de lire,
Mais pour chanter, boire et rire,
Et tricher la tirelire,
Bon! à cela je m’entends.»

Au réfectoire on s’assemble,
Vieux dont le râtelier tremble
Et les jeunes tous ensemble
Ont un égal appétit.
Mais, ô fortune ennemie !
Et bien fou qui s’y confie,
C’est ainsi que dans la vie,
Ce qu’on croit tenir nous fuit.

Arrive frère Pancrace,
Faisant piteuse grimace
De ne rien voir à sa place,
Pour boire ni pour manger.
A son voisin il s’informe,
S’il serait venu de Rome,
Quelque bref portant réforme
Sur l’usage du dîner.

« Bon ! répond son camarade,
N’ayez peur qu’on s’y hasarde,
Sinon, je prends la cocarde
Et je me ferai Prussien.
Qu’on me parle d’abstinence
Quand j’ai bien rempli ma panse,
J’y consens ; mais sans pitance,
Je suis fort mauvais chrétien.

Resterons-nous donc tranquilles
Comme de vieux imbéciles ?
Répliqua père Pamphile
Oh ! pour le moins vengeons-nous ;
Prenons tous une sandale,
Et sans la crainte du scandale,
Allons battre la cymbale
Sur les fesses de ces loups. »

Chacun ayant pris son arme,
Fut partout porter l’alarme ;
Mais au milieu du vacarme,
Frère Etienne fit un p…
Mais un p… de telle taille,
Que jamais jour de bataille,
Canon chargé de mitraille,
Ne fit un pareil effet.

Ainsi finit la mêlée ;
Car la troupe épouvantée,
S’enfuyant sur la montée,
Pensa se rompre le cou ;
Tandis que le frère Etienne,
Riant à perte d’haleine,
Et, frappant sur sa bedaine,
Amorçait un second coup.

* un cabaret situé rue Saint-Thomas-du-Louvre (disparue vers 1850)

Les paroles sont de je ne sais qui (anonyme). S’appuyant sur la phrase « et je me ferais prussien », Nisard date la chanson de l’époque de la guerre de sept ans (1756-1763).

L’air est celui des Trembleurs de Lully (Isis, 1677), consigné dans la Clé du Caveau (731),  dont s’inspirera Purcell pour son fameux Cold Song dans King Arthur (1691), et que reprendront des dizaines d’oeuvres comme on peut le voir sur le site Theaville.

 

Des chansons bachiques, dont Nisard va chercher les origines jusqu’aux scolies des Grecs (Alcée, Anacréon, Simonide), son ouvrage en écrit l’histoire, jusqu’à la glorieuse époque du Caveau fondé en 1729 ou 35, c’est selon, dont il cite les plus populaires à son époque :

« Plus on est de fous, plus on rit », et « l’Eloge de l’eau », avec le refrain :
C’est l’eau qui nous fait boire Du vin (ter);
l’une et l’autre d’Armand Gouffé;
le Cabaret: « A boire je passe ma vie »,., par J.-J. Lucet; le Mouvement perpetuel,« Loin d’ici, sœurs du Permesse, » etc., et le refrain fameux « Remplis ton verre vide, Vide ton verre plein, » etc.; Vive le vin! la Barque à Caron; les Glouglous; plus récemment, une demi-douzaine de chansons de Désaugiers, comme le Panpan bachique :
Lorsque le champagne. Fait en s’échappant Pan pan, Ce doux bruit me gagne L’âme et le tympan
le Délire bachique:
Quand on est mort, c’est pour longtemps. Dit un vieil adage Fort sage
le Carillon bachique :
Et tic, et tic et tic, et toc et tic, et tic et toc, De ce bachique tintin Vive le  son argentin
enfin le « Nec plus ultra de Grégoire »

J’ai Grégoire pour nom de guerre. 
J’eus en naissant horreur de l’eau
Jour et nuit, armé d’un grand verre
Lorsque j’ai sablé mon tonneau,
Tout fier de ma victoire
Encore ivre de gloire,
Reboire,
Voilà,
Voilà
Le Nec plus ultra
Des plaisirs de Grégoire

Ensuite, « dès que Béranger commença de faire un peu de bruit… Lui seul ou à peu près chanta pendant trente ans, et l’on ne chanta que ce qui venait de lui. »

Mais nous avons vu qu’on n’en avait pas fini avec la chanson bachique…

Wassail

C’est ce qu’on dit encore aujourd’hui en Angleterre pour porter un toast à l’époque de Noël. Nous avons déjà rencontré cette expression d’origine nordique qui veut dire à votre santé.

Elle a donné son nom à un breuvage que l’on boit en Angleterre à Noël et jusqu’à la nuit des rois (la 12ème nuit voire au delà), à base de cidre chaud, ou de bière, d’hydromel, d’épices, les recettes varient.

En 1913 Camille Chemin, professeur au lycée de Caen, écrivait dans un article consacré au poète Robert Herrick (1591-1674) : «   A Christmas …on boit le wassail, liqueur antique « faite d’ale, de noix muscade, de gingembre, de sucre, où l’on ajoutait des rôties de pain ou de pommes sauvages ».

L’histoire du vocable est contée par Gabe Cook, un expert en cidrologie.

ci-dessus présentant une bouteille de cidre à la reine Elizabeth

Il la fait remonter au 8ème siècle, au temps des vikings conquérants qui disaient vas heil en vieux norrois, expression qui devint wes hael en vieil anglais, formule utilisée dès lors comme formule de boisson, à quoi les anglo-saxons répondaient drinc hail ! A partir du 9ème siècle, waes hail  devient le nom du breuvage accompagnant le plus souvent ces libations.

On en saura plus en lisant l’article » Les nombreuses significations du wassail » sur The ciderologist.

La coutume du wassailing se répandit en Angleterre. Lors de la nuit des rois, les manants allaient de porte en porte, chantant et offrant à boire en échange de dons.

wassailing, une illustration de Jack et le haricot magique (the beanstalk)

Ces chants différaient d’une région à l’autre, en voici quelques uns.

wassail du Kent: wassail, drincail, to you a hearty wassail !

wassail de Gower (pays de Galles): Fal the dal, drink and be merry it’s a jolly wassail !

wassail de l’Essex : come listen to our call !

Gloucestershire Wassail

Wassail, wassail all over the town!
Our toast it is white and our ale it is brown;
Our bowl it is made of the white maple tree;
With the wassailing-bowl we’ll drink to thee!

une autre version dans un verger.

Et en effet, plus étonnant, le waissaling des arbres fruitiers (Orchard-visiting Wassail) est une coutume toujours vivante où les pratiquants vont de verger en verger boire à la santé des arbres fruitiers pour qu’ils produisent des fruits en quantité.
Ce court poème de Robert Herrick évoque cette tradition

Wassail the trees, that they may bear
You many a plum, and many a pear:
For more or less fruits they will bring,
As you do give them wassailing
.

Les pommiers à cidre faisaient l’objet d’un culte particulier :

Apple tree, apple tree, we all come to wassail thee,
Bear this year and next year to bloom and to blow,
Hat fulls, cap fulls, three cornered sack fills,
Hip, Hip, Hip, hurrah,
Holler biys, holler hurrah.

On trouvera de nombreuses paroles et chants dans ce toolkit

Un petit résumé en anglais ?

Rouge, blanc, quinquina…

Saint-Raphaël !

Nous avons récemment visité à Thuir les caves de Byrrh, mais ce n’est qu’un des apéritifs au quinquina qui connurent au siècle dernier leur temps de gloire, et que d’aucuns boivent encore. Il y avait aussi Saint-Raphaël, Dubonnet (du beau, du bon, du bonnet), et bien d’autres.

L’écorce de quinquina, aux vertus fébrifuges, avait été rapportée d’Equateur par des jésuites. Louis XIV notamment en fit usage, pour combattre des fièvres.

Des potions au quinquina furent concoctées. C’est dans cet esprit qu’en 1846, André Dubonnet a élaboré un vin de quinquina destiné à protéger de la malaria les soldats en Afrique du Nord. On raconte que son épouse le servit comme apéritif à ses amis.

En 1866, ce sont les frères Violet qui créent le Byrrh. Les années 70 voient naître le Lillet, dans le Bordelais, et le Mattei Cap Corse, dans l’ile de Beauté.

Le succès est tel, alors que les méfaits de l’absinthe, (sans parler de ceux du vin Mariani à la cocaïne : les deux qui finiront par être interdits) commencent à être connus,

qu’une multitude de marques apparaissent.

En 1884, l’industriel lyonnais Pierre-Marie Juppet met au point son vin de quinquina, commercialisé en 1890 sous le nom de Saint-Raphaël.

Tous ces industriels avaient compris, comme Byrrh, l’importance de la pub.

A Dubonnet, nous donnons la palme pour son affiche sur la répression de l’ivresse publique.

Mais nous retenons l’originalité de Saint-Raphaël qui lança en 1897 un grand concours de poèmes. On peut en trouver les lauréats dans le numéro du Pêle-Mêle du 21 novembre 1897. Notre préférence va au 5ème prix, attribué à à M.Pfeiffer qui a reçu pour prix un « joli baromètre monté en bois sculpté« 

Malheureux, ô combien, est le mortel qui n’a
Goûté, Saint-Raphaël, ton fameux quinquina

Notons aussi le 7ème prix de M.Lusignan de Chambéry, pour ce quatrain au sens obscur à prime abord pour le lecteur d’aujourd’hui, qui lui a valu une caissette de 6 bouteilles.

Par son mérite et par sa chance
Au loto de la concurrence
Le Saint Raphaël Quinquina
Quine a !

(on appelait quine au 19ème siècle la série de 5 chiffres sortis ensemble à la loterie)

On pourra voir sur le site de christian legac une belle collection d’affiches et d’objets publicitaires pour les Saint Raphaël Quinquina (rouge, blanc).

On en trouvera bien d’autres sur le site des bibliothèques spécialisées de la Ville de Paris.

En voici une sélection, manifestant un souci pédagogique,

le succès international…

Avec du citron (et de l’eau de Selz ?), pourquoi pas ?

Quel temps fait-il ?

La police n’est pas en reste !

Avec le temps, le style évolue…

A Dalida, à Marina, qui résisterait ?

La pub, c’est aussi en musique. Voici Jacques Hélian et son orchestre !

Mais c »est le Dubonnet que Fernandel vantait en 1955.

Et attention aux contrefaçons !

Attention aussi aux excès, comme en témoigne Max Linder, la modération reste de mise !

Le buveur de Syros

Les Cyclades, ce chapelet d’îles en mer Egée, ont connu il y a 5000 ans une civilisation qui nous a laissé d’étonnantes sculptures dont Picasso dira : « plus fort que Brancusi. On n’a jamais rien fait d’aussi dépouillé » (rapporté par A.Malraux, la Tête d’obsidienne, 1974).

On en trouvera des descriptions ici et . Au Bon Clos, nous retenons ce buveur en marbre, dont l’ancienneté remonte à la période -2800-2200

Cet échanson ‘CUP-BEARER’, (comme indiqué par le musée) ne mesure guère que 15 cm de haut et date du début de l’âge de bronze (Cycladique ancien II, c. 2800/2300 av. J-C). Il se trouve au Musée de l’art cycladique, à Athènes.

Nous y voyons une très ancienne scène de portage de toast, plutôt qu’un petit vieux prenant son infusion au coin du feu. On peut la rapprocher de celle représentée sur l’étendard d’Ur, de la même époque.

Quel contraste néanmoins avec la porteuse de toast de Jean-Antoine-Marie Idrac, que l’on peut voir à l’Hôtel de Ville de Paris ou au Petit Palais!

Santé à l’ami Jean Dessirier, qui nous a fait approcher l’art très antique des Cyclades.

Parodies bachiques

Le concert de Willie Christie et de ses Arts Florissants tenu mardi 25 juin à la Cité de la Musique nous a révélé des parodies bachiques, sorte de goguettes qui détournent des airs d’opéra ou d’opéra-comique.

C’était l’habitude à l’époque classique, où il y avait sans doute plus de rimeurs que de compositeurs et où la reprise d’airs connus du public rendait plus facile la diffusion des nouvelles chansons.

Judith le Blanc a étudié ce phénomène. Dans son article : Le phénomène parodique, révélateur et catalyseur des succès de l’Opéra, elle constate que « Lully est également le compositeur le plus parodié au sens musical du terme, sous la forme de pièces détachées, pendant toute la première moitié du xviiie siècle « , et que « les airs de Lully se diffusent en revanche à la fois horizontalement et verticalement, leur simplicité, leur universalité et leur qualité mnémotechnique, ayant le pouvoir – sinon le charme – de rendre les frontières sociales poreuses « depuis la Princesse jusqu’à la servante de cabaret »

« Pour qu’un opéra ait du succès, il faut en effet que le public puisse s’en approprier des airs, autrement dit, il faut qu’il soit un réservoir de tubes. Un opéra n’a de succès que si le public de l’époque sort du théâtre en en fredonnant certains airs. » « Tout est fait pour faciliter l’apprentissage et la participation du spectateur chantant

Pour aller plus loin, voir aussi l’ouvrage publié par Judith le Blanc chez Garnier classiques :

Avatars d’opéras, Parodies et circulation des airs chantés sur les scènes parisiennes (1672-1745)

Les parodies chantées par les Arts Florissants sont dans le recueil « parodies bachiques, sur les airs des symphonies des opéra », paru en 1696.

Il fait la part belle à Lully. Mais les airs joués par les Arts Florissants sont de Marc-Antoine Charpentier (Médée, I : chi témé d’amore =malgré l’esclavage ; III : second air des démons= que sur mer et sur terre ) et de Henry Desmarest (Circé, V: le prélude des vents= lorsque je suis au cabaret). Pas de signature pour les textes, mais des initiales :  M.R et Md’Y.

Dommage de ne pas avoir d’enregistrement de ces parodies. Mais on peut écouter les airs originaux, en chantonnant les parodies :

Chi teme d’amore, par le concert spirituel

Malgré l’esclavage où l’amour t’engage De ce doux breuvage Parbleu tu boiras

Le second air des démons, Par les arts florissants

Le prélude des vents, par Boston Early Music Festival Orchestra

Lorsque je suis au cabaret A l’ombre d’un buffet Je me moque du temps…

D’une trop c courte vie, rions et chantons, Vuidons les flacons…

A noter, parmi les dizaines de parodies répertoriées dans le recueil de monsieur Ribon, cette mention du rouge bord dont nous avons parlé il y peu.

Amis je bois un rouge bord, secondez mon effort

Pour les gastronomes, des parodies ont été écrites pour accompagner des recettes de cuisine. Voici le festin joyeux, publié en 1738, (déjà rencontré).

On y retrouvera la recette des fricandeaux en ragoût, chantée sur l’air Boire à la capucine.

A le parcourir, on réalise que c’est quand même quelque chose, la gastronomie française ! et qu’elle vient de loin…

Pour les amateurs de cuisine au vin, on recommandera par exemple :

Les pigeons au soleil
La galantine de poisson
Le brochet rôti à la Bavière
La matelote aux petits oignons
Les soles à l’espagnolle
la carpe farcie à l’angloise
les truites aux huitres
La barbue au court-bouillon
les soles à la sainte Menou
l’anguille à l’angloise
les lottes à l’allemande
les vives aux truffes vertes
la terrine de poisson
Le faisan à la sauce à la carpe,
La hure de sanglier,
La teste de boeuf à l’angloise
Les andouilles de porc
Les pieds à la Sainte Menou
Les lapereaux à l’espagnole

Tous les airs sont en fin de volume

Si tu veux la paix…

prépare le vin !

C’est le titre de l’ouvrage récompensé cette année par l’Académie Rabelais.

Laure Gasparotto, entourée des membres de l’Académie Rabelais, aux Noces de Jeannette

Rien d’étonnant pour son auteure, Laure Gasparatto , qu’un prof en khâgne n’appella jamais autrement que Gargantua, journaliste au Monde, dégustatrice reconnue, auteure de plusieurs ouvrages sur le vin.

Ce dernier ouvrage est l’occasion d’expliquer l’ itinéraire de cette « nomade, qui vit sur les routes avec un sac léger « , mais qui a trouvé  des racines en Bourgogne, « région qui se situe à la place du coeur sur une carte de France » (qu’il faut imaginer couchée sur le dos).

 Etudiante en histoire, les vendanges lui ont fait découvrir un monde nouveau et l’amenèrent  à se plonger dans l’histoire de domaines centenaires d’un « vignoble qui s’impose depuis le Moyen Age comme le plus ancien et le plus stable de France », avec ses deux cépages fétiches chardonnay et pinot noir (le gamay ayant été prohibé par Philippe le Hardi en 1385), et  ses 1247 climats reconnus  par l’Unesco.

Depuis le temps béni des abbayes de Cluny et de Citeaux, au Moyen-Age, des moines viticulteurs se sont transmis de génération en génération leurs expériences et connaissances, et à la puissante cour de Bourgogne, les ducs ont compris tout l’enjeu d’un vin de grande qualité.

L’auteure rappelle l’importance de la paix d’Arras en 1435 qui met fin à la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons et permet à Philippe le Bon de « soutenir politiquement la production d’un élixir unique et non reproductible ailleurs ». « Si tu veux la paix, prépare le vin » conclut-elle plaisamment. On aurait pu dire aussi bien : si tu veux le vin, prépare la paix !

 En 1441,  le duc fait rédiger « une ordonnance pour déterminer les bons lieux produisant les meilleurs vins et ordonner l’arrachage des vignes des lieux médiocres. » Les cuvées sont dès lors nommées d’après leur lieu d’origine.  En 1459 Philippe le Bon s’autodéclare « seigneur des meilleurs vins de la Chrétienté ». 

Le vin coule à flot lors des banquets légendaires comme celui du faisan en 1454 où l’on fit voeu d’aller délivrer Constantinople prise l’année précédente par les Turcs.

Banquet du faisan tenu à Lille en 1454, par Victor Dresde 1848

L’exposé historique se poursuit avec une réflexion sur le goût du vin, car « produire un bon vin est une chose, en produire un grand en est une autre ». Il n’y a pas que le sol. L’oenologie pratiquée sur la côte bourguignonne est la traduction en termes techniques d’un effort collectif immense et constamment renouvelé  » (Louis Latour). La grande viticulture engendre un coût insoutenable pour le commun des mortels.

On en vient donc à parler prix. A crus exceptionnels, produits en quantité limitée, prix exceptionnels. Peut-on ouvrir une bouteille valant plusieurs milliers d’euro ?

Laure Gasparotto n’a pas trop à se poser la question. Personnalité du monde du vin (n’a-t-elle pas monté dans les années 90 avec de jeunes viticulteurs , la » robe du vin », une manifestation visant à apparier grands crus et haute couture, au chateau de Savigny-lès-Beaune puis de Clos de Vougeot?),  elle a l’occasion de participer à des réunions et autres dégustations où tout peut arriver…

« C’était chez Alfred Tesseron, dans son château Pontet-Canet, à Pauillac…on me tendit un verre de blanc que je pris machinalement… je sentis le vin et m’arrêtai net dans mon élan. J ‘avais l’impression que mes pieds s’enfonçaient dans la terre… je me délectais des parfums multiples, acacia, noisette, mirabelle, épices douces… j’étais transportée par les saveurs enveloppantes et vibrantes de ce nectar divin…

« C’est un meursault narvaux 2007 du domaine d’Auvernay » lui souffla-t-on.

Une bouteille valant plus de 7000 euro sur le marché, que son propriétaire offrait à ses invités, leur rappelant ainsi que le vin est fait pour être bu.

ceci n’est pas une pub !

Heureuse Laure Gasparotto !

Et heureux invités aux Noces de Jeannette à la remise du prix, où l’on a bu de bonnes choses, quoique bien plus modestes !

A la bibliothèque-musée Richelieu

L’ancien site de la Bibliothèque Nationale n’abrite pas que des vieux bouquins et autres manuscrits enluminés et incunables, il recèle aussi de belles collections d’art antique.

Le trésor de Berthouville, qui compte de nombreuses pièces en argent travaillé a été découvert en 1830 dans un champ, en Normandie, dans une cave sous ce qui fut un temple gallo-romain. En voici quelques pièces :

Ces coupes en argent pèsent chacune plus d’un kilo.

Le simpulum ci-dessous est une louche à puiser le vin (1er siècle)

La collection du duc de Luynes révèle d’autres trésors, comme cette vitrine dédiée à Dionysos, où plats, vases et coupes en céramique du 5ème siècle avant notre ère, racontent la vie du dieu, depuis la naissance, où, sur les genoux de Zeus, il est confronté à Héra,

à sa remise à sa tante maternelle Ino et son époux Athamas, puis aux nymphes du mont Nysa,

sa rencontre avec Ariane…

Cette coupe nous montre Dionysos inspectant à dos d’âne les vendanges

Voici deux appliques en or (destinées à être cousues sur un vêtement) représentant Dionysos et son père adoptif Silène

et une assemblée de buveurs jouant à un étrange jeu

L’exposition « l’invention de la Renaissance » , (qui se termine le 16 juin) , permet de voir d’autres objets intéressants, comme ce satyre buvant en bronze (oeuvre du « Riccio » : Andrea Briosco vers 1500),

ce buveur qui se rend à un banquet « comaste » (Epictotes, vers -520)

et cette ménade, reconnaissable à sa « débride en peau de faon et son violent mouvement de torsion » (terre cuite 3ème siècle BC)

L’exposition donne aussi à voir de fabuleux manuscrits, comme celui, appartenant à Pétrarque, des oeuvres de Virgile.

Son frontispice commandé à Simone Martini par Pétrarque)  représente trois personnages, les yeux fixés sur Virgile, personnifiant les œuvres de l’auteur latin : le chevalier que regarde Servius représente Énée de l’Énéide, le paysan les Géorgiques, et le berger les Bucoliques

paysan taillant sa vigne

On comprend que la Renaissance fut une « effervescence intellectuelle, artistique et scientifique nouvelle. L’humanisme en constitue le cœur : né dans l’Italie du XIVe siècle et caractérisé par le retour aux textes antiques et la restauration des valeurs de civilisation dont ils étaient porteurs, le mouvement humaniste a produit en Occident un modèle de culture nouveau, qui a modifié en profondeur les formes de la pensée comme celles de l’art. Les princes et les puissants s’en sont bientôt emparés pour fonder sur lui une image renouvelée d’eux-mêmes, comme l’attestent tout particulièrement les grandes et magnifiques bibliothèques qu’ils ont réunies. »

On comprend aussi « le rôle fondateur joué au XIVe siècle par Pétrarque et sa bibliothèque ; la redécouverte des textes antiques et la tâche de leur diffusion par la copie manuscrite, le travail d’édition, la traduction ; l’évolution du goût et des formes artistiques qu’entraîne une connaissance toujours plus étendue du legs de l’Antiquité ; la promotion nouvelle de la dignité de l’être humain et des valeurs propres à sa puissance d’action et de création, telles que le programme humaniste de célébration des hommes illustres les exalte. »

Parmi les grands découvreurs, on retrouve le Pogge (Poggio Bracciolini, qui retrouva au 15ème siècle au fond d’une abbaye germanique le fameux De natura rerum de Lucrèce). Son itinéraire est relaté dans Quattrocento (The Swerve, de Stephen Greenblatt)

Et l’on songe en quittant l’exposition à ces mots de Sénèque :

otium sine litteris mors est et hominis vivi sepultura 

(Le repos sans l’étude est une espèce de mort qui met un homme vivant au tombeau).

Erst trinken wir noch eins

« Buvons encore un coup, d’abord« .

Voici une chanson que l’on pouvait entendre en Allemagne dans les années 30. On la doit à Willy Rosen, un pianiste fantaisiste prolifique (il composa plus de 600 chansons) qui se produisait dans les cabarets de Berlin.

Elle-ci nous parle d’un père de famille (les enfants, soyez sympa !) qui n’a pas de quoi payer le loyer (mais le proprio peut attendre…), Garçon ! une bière ! et à la pause, une saucisse, et on a soif à nouveau…

Kinder, kommt, und seid jemütlich. Jetzt ist es jrade so nett
Kinder, kommt, und seid doch friedlich.

Zanken könnt ihr euch im Bett!
Ick hab noch das Jeld für die Miete bei mir, der Hauswirt kann warten. Herr Ober, ein Bier!
Erst trinken wir noch eins, erst trinken wir noch eins und dann jehn wir noch nich nach Hause
Erst trinken wir noch eins, erst trinken wir noch eins und dann machen wir eine Pause
Und in der Pause, da essen wir ‘ne Wurscht, denn nach so ‘ner Wurscht kriegt man immer
Wieder Durscht, hmm!
Dann trinken wir noch eins, dann trinken wir noch eins, und dann jehn wir noch nich nach
Hause
Bier her, Bier her, oder ick fall um!
Kinder, ach, wie schön wars früher, da hat man doch noch jelebt
Heut kommt der Jerichtsvollzieher der blaue Vöjelchen klebt
Doch schleppt er auch weg unser Prachtgrammophon – das Lied, worauf’s ankommt, das
Kenn’n wir ja schon:
Erst trinken wir noch eins …
Trink’ma noch’n Tröppchen, trink’ma noch’n Tröppchen aus det kleene Henkeltöppchen
Trink’ma noch’n Tröppchen, trink’ma noch’n Tröppchen aus det kleene Henkeltöppchen
Prost Rest! Prost Rest! Prost Rest!

La chansons a été popularisée par les Comedian Harmonists, un groupe vocal qui connut un succès international à l’époque.

Les chansons de Willy Rosen sont pleines d’humour, on peut en écouter une quarantaine sur Youtube. Certaines sont attendrissantes comme ce  »Venezuela » (« Venezuela Tango! Der Text ist von Schwenn, Schäffers und mir. Der Musik, ist also von mir » April 1932) où tout le monde est heureux… (texte et beaucoup d’information dans les commentaires).

Mais c’était le bon temps, le bon temps c’est fini…

Willy Rosen, réfugié en Hollande, fut rattrapé par la solution finale et mourut à Auschwitz en septembre 1944. On pourra lire son histoire sur le site https://textundmusikvonmir.co.uk.

Pasteur et le vin

C’est à une conférence sur les travaux de Louis Pasteur que nous étions conviés, ce jeudi 23 novembre, par la Coordination COCORICO des Confréries d’Ile de France.

Alain Marchal entouré des organisateurs M.Devot et M.Mella

Alain Marchal, président d’honneur de la Société des Amis de Louis Pasteur, docteur en pharmacie et ex-chef de service au laboratoire de biologie du CHG Louis-Pasteur de Dole, a captivé l’auditoire en décrivant le parcours du grand homme, né à Dole en 1822, élevé à Arbois, intéressé très jeune par le dessin (il a laissé de nombreux portraits), reçu à l’Ecole Normale Supérieure où il étudie la Physique et la Chimie, puis Professeur en faculté des sciences à Strasbourg et à Lille.

Albert EDELFELT (1854-1905): Louis Pasteur (1822-1895), chimiste et biologiste – détail – 1885 – huile sur toile – DO1986-16 – Photo Credit: Musée d’Orsay Paris / Aurimages

C’est là que ce spécialiste de la cristallographie, qui aime aller sur le terrain, rencontre un distillateur de jus de betterave, père d’un des élèves, qui lui fait part de ses problèmes de production.
Au microscope, Pasteur découvre les bacilles lactiques en forme de bâtonnets, responsables d’une fermentation lactique.  Son mémoire sur la fermentation lactique sera l’acte de naissance de la microbiologie.

Il s’intéresse dès lors à la fermentation alcoolique, butyrique, acétique, et découvre les «animalcules infusoires» vivant sans oxygène libre déterminant les fermentations. C’est une révolution qui remet en cause la croyance en une génération spontanée, qui verra s’opposer s’opposer avec acharnement deux camps, tant il est vrai que « le plus grand dérèglement de l’esprit, c’est de croire les choses parce qu’on veut qu’elles soient, et non parce qu’on a vu qu’elles sont en effet » (Bossuet).

Poursuivant ses recherches, encouragé par le couple impérial, Pasteur s’intéresse aux maladies du vin et dépose un brevet sur la pasteurisation en 1865. Il prouve que le mycoderme acétique est responsable de la transformation du vin en vinaigre (et non les copeaux de bois comme le soutenait l’allemand Von Liebig). Il étudie aussi l’effet de l’air sur le vieillissement et met en évidence l’existence de levures dans l’air.

De Pasteur nous reste cette formule « le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons ».

Enoncée dans le contexte de l’époque (eau non potable, alcools forts…), elle a été instrumentalisée abusivement par les propagandistes du vin. Ce débat n’est pas clos, mais il est clair que le grand homme n’en préconisait pas un usage immodéré !

Alain Marchal devant la statue de Pasteur à Dole

Merci Alain Marchal pour cette passionnante conférence,

et cette bouteille issue du clos des Rosières à Arbois, la « vigne de Pasteur ».

Au Palais Royal de l’Ile de la Cité

Ce qui fut jusqu’au 14ème siècle sur l’Ile de la Cité la résidence des rois de France héberge depuis ces temps anciens les institutions de justice.

Son architecture a été largement remaniée depuis, mais il en reste la Conciergerie (qui fut prison sous la Révolution), la cuisine et la salle des gens d’armes où l’on pouvait voir récemment une exposition sur la gastronomie française.

Le clou en était le menu du déjeuner offert, en l’honneur de l’empereur de Bohême Charles IV et de son fils Wenceslas (dit l’Ivrogne) par le roi Charles V le Sage en janvier 1378.

Ce n’est pas encore Versailles, mais déjà bien appétissant. Ci-dessous une enluminure de ce banquet

Hélas rien n’est dit sur les vins servis à cette occasion. Il y en avait pourtant !

Voici un ouvrage intéressant pour qui voudrait en savoir plus : Les menus des repas du séjour parisien de Charles IV (janvier 1378).

Cette représentation du terroir d’Ile de France est très instructive.

On y note y quelques alcools, mais quid des vins ?
On y retrouve notre poule de Houdan, les asperges d’Argenteuil, nos glorieux Brie de Meaux et de Melun, le Chasselas de Thomery…
Mais plus de petits pois à Clamart, et le Claquesin a émigré de Malakoff à Provins.
Voici encore quelques images glanées dans l’exposition, qui nous ramènent aux 19ème et 20ème siècles : couples au restaurant, dîners fins, à l’issue duquel l’homme attend son heure

ou se fait pressant

Autre ambiance dans un bouillon parisien

De quand date cette photo du personnel d’un bistrot : début des années 20?

Et la Tour Eiffel toujours associée au vin (ici le Champagne)

Finissons avec ce remarquable petit meuble en pâte de pain, commandé par Salvador Dali à Lionel Poilâne, en haut duquel on distingue pampres, feuilles de vigne et grappes de raisin.

Etonnant, non ?