1258, l’année terrible

Gelées, grêle, sécheresse, humidité, froid, maladies… Chaque année les vignerons tremblent pour leur précieuse récolte. Qualité et quantité dépendent de tous ces aléas, mais aussi, on le verra, du travail, de la vigilance, de l’expérience et de l’intelligence des vignerons.

L’an 1258 est de ce point de vue emblématique. Ce fut une année terrible, qui ne connut pas d’été, les fruits ne poussèrent pas, le foin pourrit, avec pour conséquence famine et maladies. On dit qu’à Londres un tiers de la population mourut.

Le coupable,  le volcan Samalas de l’île de Lombok, en Indonésie, vient d’être identifié après une longue traque mettant en oeuvre les technologies modernes (carottages de la calotte glaciaire) et le déchiffrage d’une chronique indonésienne ancienne, le Babad Lombok. (voir à ce sujet l’article du « passeur de science »  Pierre Barthélémy « Le mystère de la plus grande éruption volcanique du dernier millénaire est résolu ».)

Voici ce que le frère Richer, un moine bénédictin qui vivait à Senones, dans les Vosges, a rapporté  dans sa chronique (livre V chapitre V: traduction du texte original latin en français du 16ème siècle, dont on a modernisé l’orthographe pour en faciliter la lecture)

« Mais que pourrais-je dire de la vendange odieuse de ceste année, vu que personne n’en put tirer aucun profit ou émolument, et que telle chose ne se trouve par écrit être jamais advenue ? Quelle chose pourrait être plus misérable à dire, sinon qu’en tout cet été ne se put jamais trouver un seul grain de raisin propre à manger, même aux alentours de la Saint Rémi, auquel temps naturellement mûrit le fruit de la vigne. Les raisins étaient si durs qu’il semblait qu’ils eussent imité la dureté des cailloux.

Qu’eussent donc fait les vignerons ? Eussent-ils recueilli les fruits de la vigne qui n’avaient aucune humeur de mureté ? Toutefois comme les hommes en tel doute hésitaient à la collection de leurs vendanges, afin que l’infélicité de cette année n’oubliât rien de sa misérable perfection, les vignerons différèrent pour quelque temps à vendanger, guidés de tel espoir qu’ils pouvaient mieux. Car ils aperçurent une petite sérénité qui devait, à leurs voeux, rendre aucunement mûres leurs vignes.

Mais de malheur un jour de la troisième semaine d’octobre, le vent septentrional usant de ses violences,, amena une si grande gelée que toute la vendange fut réduite en glace. Et ce non seulement advint en ce pays, mais aussi aux régions plus lointaines.

Certes, je ne puis taire les défortunes qui survinrent de cette misérable vendange ; car comme les vignerons virent que les vignes avec leurs raisins étaient gelées, et que de jour en jour la gelée s’accroissait, destitués de tout espoir de maturité, délibérèrent de recueillir le fruit tout tel qu’il était. Et de fait, l’ayant recueilli, l’emportèrent dans des sacs en leurs maisons, puis les dégelaient comme ils pouvaient mieux dans des poêles ou autres lieux chauds. Quoi fait, à force de pressoirs ils en tiraient tout ce de liqueur qu’il était possible, et ainsi le mettaient en leurs vaisseaux.

Entre tant de maux qu’ils eurent, ceci leur servit que le vin fut, cette année,très bien rassis mais beau qu’il était, avait après soi une certaine amertume et dureté. Toutefois ce fut merveille comme il se mûrit tellement dans les tonneaux, que il fut gardé jusqu’en l’été, il devint délicieux et doux à boire. »

Une belle histoire en vérité. Ce ne fut pas partout le cas, malheureusement, car comme le rapporte un autre bénédictin, Guillaume de Nangis, de Saint-Denis :

« Au mois de septembre, il y eut en plusieurs endroits de tels déluges de pluie, que les moissons germèrent dans les champs et dans les granges, et que les grappes de raisin ne purent parvenir à leur maturité nécessaire. Ensuite les vins furent tellement verts, qu’on ne les pouvait boire qu’avec déplaisance et en faisant la grimace. »

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