Ainsi le grand Charles a fini par prendre le large. A force de demander qu’on l’emmène au bout de la terre, ça devait arriver ! Hier encore, il paradait sur les scènes du monde entier. Et pourtant, il n’est plus là. Pour beaucoup, c’est le compagnon de toute une vie qui s’en va. Adieu Charles, mon camarade.
Pour les lecteurs du bon clos, il faut savoir qu’il écrivit et chanta deux chansons, intitulées l’une j’ai bu (paroles d’Aznavour et musique de Pierre Roche, interprétée par Georges Ulmer dans les années 40, mais aussi par Charles soi-même)
l’autre je bois (1987, paroles de Charles Aznavour, musique de Georges Garvarentz).La chronologie aurait voulu que l’on inverse les titres, et pourtant.. ce n’est parce qu’on a bu qu’on ne boit plus ! Ce sont toutes les deux des histoires d’un homme malheureux en amour.
Pour être complet, il faut citer aussi son « premier verre de champagne » (1948, paroles Aznavour musique Pierre Roche)
où il fait parler une jeune fille de son premier verre de champagne:
Ça me picote dans le nez Une douce ambiance me gagne Et j’en suis tout émoustillée …
Mais écoutons J’ai bu
J’ai bu J’ai joué et j’ai tout mis sur le tapis A la roulette de la vie T’as tout gagné moi j’ai perdu Alors j’ai bu J’ai bu J’ai dit les mots qui passaient en mon âme Mais toi dans ta p’tit’ têt’ de femme T’as pas compris qu’j’étais perdu Alors j’ai bu Et fou J’ai compris malgré tes caresses Dans la douceur de mon ivresse Que tu mentais J’ai bu Pourtant je t’aimais d’un amour sincère Mais un jour malgré mes prières |
Tu m’as quitté n’en parlons plus Alors j’ai bu Fine, whisky, gin Tous les alcools me sont permis Ce qui m’chagrin’ Si des barmen je suis l’ami Des réverbèr’s je suis l’enn’mi Sur le pallier Le trou d’serrur’ joue à cache-cache Avec ma clef Ma maison a un’ drôl’ de mine Tous les objets font philippine J’ai bu J’ai joué et j’ai tout mis sur le tapis A la roulette de la vie T’as tout gagné moi j’ai perdu Alors j’ai bu |
et Je bois.
Voici la version de Charles en 1987 au Palais des Congrès
et celle des Croquants
Je bois pour oublier mes années d’infortune
Et cette vie commune Avec toi mais si seul Je bois pour me donner l’illusion que j’existe Puisque trop égoïste Pour me péter la gueule Et je lève mon verre à nos cœurs en faillite
Nos illusions détruites A ma fuite en avant Et je trinque à l’enfer qui dans mon foie s’impose En bouquet de cirrhose Que j’arrose en buvant Je bois jour après jour à tes fautes, à mes fautes
Au temps que côte à côte Il nous faut vivre encore Je bois à nos amours ambiguës, diaboliques Souvent tragi-comiques Nos silences de mort A notre union ratée, mesquine et pitoyable
A ton corps insatiable Roulant de lit en lit A ce serment, preté la main sur l’Evangile A ton ventre stérile Qui n’eut jamais de fruit Je bois pour échapper à ma vie insipide
Je bois jusqu’au suicide Le dégoût , la torpeur Je bois pour m’enivrer et vomir mes principes Libérant de mes tripes Ce que j’ai sur le cœur Au bonheur avorté, à moi et mes complexes
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A toi, tout feu, tout sexe A tes nombreux amantsA ma peau boursouflée, striée de couperose
Et à la ménopause Qui te guette au tournantJe bois aux lois bénies de la vie conjugale Qui de peur du scandale Poussent à faire semblant Je bois jusqu’à la lie aux étreintes sommaires Aux putes exemplaires Aux froids accouplements Au meilleur de la vie qui par lambeaux nous quitte
A cette cellulite Dont ton corps se rempare Au devoir accompli comme deux automates Aux ennuis de prostate Que j’aurai tôt ou tard Je bois à en crever et peu à peu j’en crève
Comme ont crevé mes reves Quand l’amour m’a trahi Je bois à m’en damner le foie comme une éponge Car le mal qui me ronge Est le mal de l’oubli Je m’enivre surtout pour mieux noyer ma peine
Et conjurer la haine Dont nous sommes la proie Et je bois comme un trou qu’est en tout point semblable A celui que le diable Te fait creuser pour moi Je bois mon Dieu, je bois
Un peu par habitude Beaucoup de solitude Et pour t’oublier toi Et pour t’emmerder toi Je bois, je bois |