De la guerre, ceux qui ne l’ont pas connu en ont en tête les terribles épreuves. Sans toujours imaginer que ceux qui l’ont vécu, au péril de leur vie, ont parfois su garder le sourire.
François Le Lionnais (1901-1984), était une personnalité disparate aux multiples talents : passionné de littérature et de sciences, il fut poète, écrivain, ingénieur, chef d’entreprise, champion d’échecs, mathématicien, fondateur de l’Oulipo, mais aussi combattant et résistant. Un autre oulipien, Olivier Salon, a tenté de reconstituer sa vie dans une passionnante « tentative de recollement d’un puzzle biographique » : le disparate François Le Lionnais.
Nous y avons dégotté cette anecdote piquante dont la source serait un livre du Colonel Remy « Autour de la plage Bonaparte« .
Affecté au laboratoire de chimie d’un hôpital dans les Ardennes en septembre 1939, il y fut cantonné avec une quinzaine d’autres lors de l’arrivée imminente des Allemands, en mai 40, pour « enterrer les morts« . Prenant la direction des opérations, il chargea ses camarades d’aller chercher du ravitaillement en ville où, leur avait-on dit, « tout ce qui reste est à vous« , en leur recommandant de ramener du champagne et de prendre « le plus cher« .
« Nous n’étions pas assez nombreux et on travaillait vingt heures par jour. Aussi, j’avais soigné les menus. Dans ces cas-là, on a une très grande capacité de buvaison (*). Je me souviens d’un repas particulièrement soigné : chacun avait pour commencer une petite bouteille de Porto, ensuite on accompagnait au Bourgogne blanc, et chacun pouvait boire une bouteille entière, ensuite Bourgogne rouge, toujours une bouteille chacun, enfin café et alcools. Personne n’a été ivre. Tout le monde était enchanté de ma gestion. Tout a très bien marché…«
* terme du parler des gones lyonnais
(extrait du Glossaire des gones de Lyon, d’Adolphe Vachet)