les sept péchés capitaux

Eugène Sue, l’auteur prolifique des bien connus Mystères de Paris, s’est intéressé aussi aux sept péchés capitaux (paru en feuilleton dans les années 1847-1852).

Dans la partie consacrée à la gourmandise, nous découvrons un seigneur Don Diego, chanoine d’Alcantara.

Etrange fatalité, le trois-mâts sur lequel il s’embarque à Cadix pour rallier avec sa nièce Bordeaux, est nommé le Gastronome. Car ce chanoine en est un fameux, qui conscient de son péché, passe sa vie « à jouir et à regretter d’avoir joui ». Las, une tempête en mer lui a fait perdre l’appétit. Au coeur d’une ténébreuse affaire, il a pris à son service un cuisinier talentueux qu’un précédent maître a surnommé Appétit.

Voici son premier repas qui mêle merveilleusement mets et vins : Madère, Sauternes, Château Margaux, Clos Vougeot, Côte Rôtie, Johannisberg, Porto et bien sûr Champagne !

Un morceau d’anthologie rapporté déjà par Robert J.Courtine et Jean Desmur dans leur « Anthologie de la littérature gastronomique » (TREVISE 1970)

  • Oeufs de pintade frits à la graisse de caille, relevés d’un coulis d’écrevisse.

N. B. — Manger brûlant, ne faire qu’une bouchée de chaque œuf, après l’avoir bien humecté de coulis. Mastiquer pianissimo. 

Boire, après chaque œuf, deux doigts de ce vin de Madère de 1807, qui a fait cinq fois la traversée de Rio-Janeiro à Calcutta. Boire ce vin avec recueillement.

 … un vin

à la fois sec et velouté;  que te dirai-je? un nectar! et si tu savais, Pablo, comme la saveur de ce nectar se marie admirablement au parfum du coulis d’écrevisse? C’est idéal, Pablo! idéal! te dis-je; aussi, je devrais être rayonnant, fou de joie en retrouvant ainsi mon appétit perdu … Eb bien, non, je me sens pris d’un attendrissement ineffable; enfin, je pleure comme un enfant! Pablo, tu le vois, je pleure, j’ai faim! …

… Chaque service était accompagné d’une ordonnance, comme disait Pablo, et d’un nouveau flacon de vin tiré sans doute de la cave de ce singulier cuisinier.

…La collection de ces bulletins culinaires donnera une idée des délices variés que goûta dom Diégo. Après la note qui annonçait les œufs de pintade, se déroula successivement le menu suivant, dans l’ordre où nous le présentons:

  • Truite du lac de Genève au beurre de Montpellier, frappé de glace.

 Envelopper hermétiquement chaque bouchée de ce poisson exquis dans une couche de cet assaisonnement de haut goût.

Mastiquer allegro. 

Boire deux verres de ce vin de Bordeaux (Sauternes 1834); il a fait trois fois la traversée de l’Inde. 

Ce vin veut être médité.

— Un peintre ou un poète eût fait de cette truite au beurre de Montpellier, frappé de glace, un portrait enchanteur, avait dit le chanoine à Pablo. — Vois-la, cette charmante petite truite, à la chair couleur de rose, à la tête nacrée, voluptueusement couchée sur ce lit d’un vert éclatant, composé de beurre frais et d’huile vierge, congelés par la glace, auxquels l’estragon, la ciboulette, le persil, le cresson de fontaine, ont donné cette gaie couleur d’émeraude! Et quel parfum! Comme la fraîcheur de cet assaisonnement contraste délicieusement avec le haut goût des épices qui le relèvent! Et ce vin de Sauterne! quelle ambroisie si bien appropriée, comme dit ce grand homme de cuisine, au caractère de cette truite divine qui me donne un appétit croissant!

Après la truite vint un autre mets accompagné de ce bulletin:

  • Filets-de grouse aux truffes blanches du Piémont, (émincées crues).

Enchâsser chaque bouchée de grouse entre deux rouelles de truffe et bien humecter le tout avec la sauce à la Périgucux (truffes noires), servie ci-joint.

Mastiquer forte, vu la crudité des truffes blanches.

Boire deux verres de ce vin de Château-Margaux 1834. — (II a aussi fait le voyage des Indes.)

Ce vin ne se révèle dans toute sa majesté qu’au déboire. 

Ces filets de grouse, loin de l’apaiser, excitèrent jusqu’à la fringale l’appétit toujours croissant du chanoine, et sans le profond respect que lui inspiraient les ordres du grand homme de cuisine, il eût envoyé Pablo devancer le coup de sonnette et chercher un nouveau prodige culinaire.

Enfin ce coup de sonnette se fit entendre.

Le majordome revint bientôt avec cette note qu’accompngnait un autre mets:

  • Râles de genêts rôtis sur une croûte à la Sardanapale. 

Ne manger que les cuisses et le croupion des râles; ne pas couper la cuisse, la prendre par la patte qui la termine, la saupoudrer légèrement de sel, trancher net, au-dessus de la patte, et tout broyer, chair et os.

„ Mastiquer largo et fortissimo; manger presque simultanément une bouchée de la rôtie brûlante, enduite d’un condiment onctueux, dû à la combinaison de foies et de cervelles de bécasse, de foies gras de Strasbourg, de moelle de chevreuil, anchois pilés, épicés de haut goût, etc.

Boire deux verres de clos Vougeot de 1817

Verser ce vin avec émotion, le boire avec religion. 

Après ce rôti, digne de Lucullus ou de Trimalcyon, et savouré par le chanoine avec idolâtrie et une faim inassouvie, le majordome reparut avec deux entremets que le menu signalait ainsi:

  • Morilles aux fines herbes et à l’essence de jambon; laisser fondre et dissoudre dans la bouche ce champignon divin.

Mastiquer pianissimo. 

Boire un verre de vin de Côte-Rôtie 1829 et un verre de Johannisberg de 1729 (provenant de la grand’foudre municipale des bourgmestres de Heidelberg).

Aucune recommandation à faire à l’endroit du vin de Côte-Rôtie; ce vin est fier, impérieux, il s’impose. 

A l’égard du vieux Johannisberg de cent vingt ans, l’aborder avec la vénération qu’inspire un centenaire, le boire avec componction.

Deux entremets sucrés.

  • Bouchées à la duchesse, à la gelée d’ananas.

Mastiquer amoroso. 

Boire deux ou trois verres de ce vin de Champagne frappé de glace (Sillery sec, année de la comète).

Dessert:

  • Fromage de Brie de la ferme d’Estouville, près Meaux.

Cette maison a eu pendant quarante ans l’honneur de servir la bouche de M. le prince de Talleyrand, qui proclamait le fromage de Brie le roi des fromages (seule royauté à laquelle ce grand diplomate soit resté fidèle jusqu’à sa mort).

Boire un verre ou deux de vin de Porto tiré d’une barrique retrouvée sous les décombres du grand tremblement de terre de Lisbonne.

Bénir la Providence de ce miraculeux sauvetage, et vider pieusement son verre.

N. B. Jamais de fruits le matin, ils réfrigèrent, chargent et obèrent l’estomac aux dépens du repos du soir; se rincer simplement la bouche avec un verre de crème des Barbades de madame Amphoux (1780), et faire une légère sieste en rêvant au dîner. »

On y visite aussi la cave d’un commissionnaire en vins fins


Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s