Voici un petit poème « pastoral », un « églogue », découvert dans un recueil de poésies françaises des 15ème et 16ème siècle réunies et annotées par Anatole de Montaiglon, publié en 1855.
Il fut composé au 16ème siècle par un certain Calvi de la Fontaine, connu comme parisien, traducteur de Filipo de Beroalde, dans la « bibliothèque francoise de Lacroix du Maine »
Dans un premier tableau nous voyons converser deux vignerons, Colinot de Beau(l)ne et Jacquinot d’Orléans.
Le vin aidant, voici Jacquinot
Ils parlent des femmes bien sûr, auxquelles il est » fol de bailler vigneron gris« … « trop vieillard, qui n’est digne de son gent corps« , car « lier on ne doit point de vieux cerceaux une neuve futaille » et « le bon tranchant de la serpe qui taille faut emmancher de bois de même taille« .
Mais ils laissent vite le volage Cupido car du retour de Bacchus dont ils sont les suppôts « faut deviser« .
Cela tombe bien, « ces jours passés Bacchus délibéra du ciel faire départ pour venir voir » … « tous les suppots de sa terrestre part ».
C’est à Beaune « cher vignoble par lui chéri sur tous » qu’il descend « premièrement« . Mais ce qu’il voit (« deux vignerons se battre à main senestre » pour une serpe) le met « en telle ire et courroux » qu’il « n’y fait entrée » et repart aussitôt vers d’autres destinations : Orléans, Aunis, Grave et Bordelais, pays Senonois, Anjou, Ay, Auxerrois, Irancy, Noisy, Montreuil, Meudon en Meudonnois, Suresnes, Sèvres, Auteuil, Saint-Cloud, Issy
(le parisien Calvi de la Fontaine connait bien les vignobles proches de sa ville; dans la bataille des vins, trois siècles plus tôt, les vins cités sont ceux de Montmorency, Argenteuil, Deuil, Etampes…)
…partout ce ne sont qu »horribles noises » entre gens « plus adonnés aux martiaux ouvrages qu’à labourer la vigne à saoul ou jeun » ; ici pour qui boirait le premier un godet de vin nouveau, là pour un raisin, là encore pour un tonneau…
« Par quoi il part de la Terre comme un dieu dépité, en ire si très grande qu’il entreprit de les détruire en commun »
Il supplie Jupiter de le venger, lequel pour l’exaucer convoque les quatre vents hivernaux :
« Sors Boreas de ta carrière bise ;
laisse ton trou vent gelé de galerne ;
laisse ton creux télébreux, vent de bise ;
froid Vulturnus, délaisse ta caverne«
… « gelez, gelez, car je qui tout gouverne le veut ainsi… »
Le résultat est catastrophique : » il n’y eut vignoble en nul pays qui ne fut, las ! lors perdu et foullé« .
Devant le « si soudain meschef » (malheur) les vignerons « se vont tapir dessous leurs vertes treilles / ne parlant plus de flacons ni bouteilles »
Ils prient Bacchus, mais celui-ci « n’en fait pas grand compte, car sa fureur n’est pas encore éteinte« . Jupiter, « plein de bénignité« , le raisonne : « temps est que ton courroux vers tes suppots s’efface » … « donc vers eux en terre t’en iras; aussi afin que leur ennui se passe, de ta liqueur très bien les muniras »
Aussitot dit les « vignerons de tous endroits (re)connurent leur dieu Bacchus sur la terre baissé » (sinon « un tas de vignerons mauvais trop envinés, lesquels le méconnurent« )
« de tous pays et les vignes gentilles prirent si bien le sien retour à gré qu’en un moment devinrent très fertiles ; on ne vit point nuls ceps secs inutiles mais de raisins chargés si à foisonrendant liqueurs friandes et subtiles qu’il ne fut onc plus vineuse saison »
Et tout finit par des chansons et par des danses, avec Silène qui « gaies chansons à raisonner commence« , et nymphes, « faunes, sylvains et satires poilus vinrent courant à la danse« .
Et pour finir, cette métaphore un peu obscure, quoique…
Illustrons cela avec cette Bacchanale d’Auguste Lévêque (peintre belge 1866-1921)