Buveurs très illustres, et vous goutteux très précieux…
Ainsi commence le Tiers Livre des faits et dits héroïques du bon Pantagruel, de François Rabelais. Dans une autre édition, ces « bevveurs » suivent les « Bonnes Gens ». Dans le Prologue de Gargantua, ils précèdent les Vérolés. Bref, c’est bien à nous, aux gens de bien et autres buveurs de prime cuvée, que s’adresse Maître François.
L’expression a dû faire florès car un siècle plus tard, vers 1635, le graveur Abraham Bosse (collaborateur et ami de Jacques Callot, émule du mathématicien Desargues qui l’initia aux lois de la perspective) publie une planche intitulée
« Aux buveurs très illustres et hauts crieurs du Roy boit«
(« le roy boit » est l’acclamation traditionnelle du tirage des rois, thème de prédilection de Jakob Jordaens)
Cette planche (que l’on peut trouver sur gallica) mérite qu’on la regarde de plus près. Ils sont là vingt-quatre, du Roy au Portier, du Sommelier au Laquais, à proclamer leur bachique addiction. Chacun y va de son épigramme. Voici, à tout seigneur tout honneur,
le Roy : »Bacchus me fait maintenant croire Que je suis prince quand je bois »
Le Chancelier : « J’ordonne qu’on boive en délices Aux bonnes grâces des Destins »
Le Conseiller d’Etat : « Et que chacun prenne sa coupe Pourvu qu’on ne s’enivre pas »
Le Médecin : »…qu’on boive tant qu’il en tonne Et que l’on remplisse les pots »
Le Musicien : » Ma voix sait charmer les oreilles Je ravis les coeurs doucement Mais pour bien faire des merveilles iIl me faut boire abondamment »
Le Maitre d’hôtel : « Les mets que je sers sur la table Sont pour faire boire à tous coups Que le bon vin est souhaitable Au monde rien n’est de plus doux »
Et bien sûr l’Echanson : « Je fais courir parmi le monde Pour du vin bien délicieux Quand mon Prince en boit à la ronde Il se croit le maître des Dieux »
Le Sommelier : » Courage enfants bravons l’ennui le bon vin ne nous manque pas C’est lui qui réjouit la vie Et qui surmonte le trépas
Le Tireur de vin : » Quoiqu’on me tienne en peut d’estime Pour me mettre à tirer le vin J’entends bien le jeu de la prime L’on me croit sot mais je suis fin »
Le Laquais « Je ne vais jamais en campagne Alors que l’on fait un banquet Ai-je bu du bon vin d’Espagne Je cause comme un perroquet »
Le Portier : « Toujours une douleur me presse Si je ne suis parmi le vin »
Le Suisse : Quand je suis saoul j’ai du courage Rien ne peut être mon vainqueur Surtout le vin et le fromage Sont les bons amis de mon coeur »
Laissons le dernier mot au Fou : « Ma gloire gît en la bouteille Je veux mourir dedans le vin Rien ne contente mon oreille Si ce n’est le bruit d’un festin «