Dans nos guinguettes de Paris quelle est donc la boisson piquante qui ravigote les esprits ?
Quelle était l’âcre saveur que les vieux guerriers russes et prussiens, courbés et blanchis soixante années après l’invasion de 1815, rêvaient encore de goûter ?
Quel est encore ce vin « à la si jolie couleur de groseille » dont parle Victor Hugo, qui, dégusté « sans eau, [] n’est vraiment pas mauvais » ?
Ami lecteur, le bon clos l’a découvert pour toi :
« C’est le vin coquet, le vin clairet… que l’on boit à Suresnes.
Curieusement, c’est dans les années 70 du 19eme siècle, après le Second Empire, qu’il reçoit la consécration littéraire et musicale, si l’on en juge par ces trois références :
« Ruines et Fantômes « , par Jules Claretie date de 1873. Apprenant la mort de Napoléon III, l’écrivain évoque la visite du czar en 1867 et se remémore 1815 :
Mais quelle chose bizarre, me disais-je alors, que ce voyage tout fraternel de l’empereur de Russie rappelle inévitablement la tournée moins amicale de 1815 ! Au fait, pourquoi oublierions-nous cette date assez cruelle, lorsque nos voisins mettent un soin si tenace à se la rappeler?
Et j’ajoutais:
–A cette heure, il y a, de par le monde, en Prusse et en Russie, de braves gens qui se racontent avec une espérance avide la légende de l’invasion. Il y a de vieux guerriers courbés et blanchis qui ont gardé sur les lèvres l’âcre saveur du vin de Suresnes, et qui voudraient bien encore en goûter.
Dans ses « mémoires de la vie littéraire » (le Journal) Edmond de Goncourt relate un dîner en août 1873 , chez Victor Hugo. Le grand homme est intarissable, la soif le prend :
Il s’interrompt:
«Donnez-moi à boire, non pas du vin supérieur que boivent ces messieurs (il fait allusion à une bouteille de Saint-Estèphe) mais du vin ordinaire, quand il est sincère, c’est celui que je préfère, non pas du Bourgogne, par exemple: ça donne la goutte à ceux qui ne l’ont pas, ça la triple à ceux qui l’ont… Les vins des environs de Paris, on est injuste pour eux, ils étaient estimés autrefois, on les a laissé dégénérer… ce vin de Suresnes sans eau, ce n’est vraiment pas mauvais…
Tenez, monsieur de Goncourt, il y a longtemps de cela, mon frère Abel, en sa qualité de lorrain et de Hugo, était très hospitalier. Son bonheur était de tenir table ouverte. Sa table, c’était alors dans un petit cabaret, au-dessus de la barrière du Maine. Figurez-vous deux arbres coupés et non écorcés, sur lesquels on avait fiché, avec de gros clous, une planche. Là, il recevait toute la journée. Il n’y avait, il faut l’avouer, que des omelettes gigantesques et des poulets à la crapaudine, et encore pour les retardataires, des poulets à la crapaudine et des omelettes gigantesques. Et ce n’étaient pas des imbéciles qui mangeaient ces omelettes. C’étaient Delacroix, Musset, nous autres… Eh bien là, nous avons beaucoup bu de ce petit vin, qui a une si jolie couleur de groseille: ça n’a jamais fait de mal à personne.»
Last but not least, Edmond Audran fait jouer son opérette le grand Mogol en 1877 à Marseille. Par quelle fantaisie a-t-il placé ces « couplets du vin de Suresnes » dans cette histoire classique d’amour contrarié qui se passe aux Indes ? On se perd en conjectures…
Dans nos guinguettes de Paris
Quelle est donc la boisson piquante
Qui ravigote les esprits
Et qui fait qu’on rit et qu’on chante
Quelle est cette fraîche liqueur
Qui coulant gaîment dans les verres
Des grisettes des mousquetaires
Vient troubler oui troubler la tête et le coeur ?
—
Refrain
C’est le vin coquet Le vin claret Dont nos tasses sont pleines
C’est le vin si gai Si distingué Que l’on boit à Suresnes
(bis)
A tire larigot comme dit l’dicto l’Suresnes premièr’ se boit sans eau
A tire larigot l’Suresnes première
A tire larigot se boit sans eau
(bis)
—
Qui donc aux jeunes comme aux vieux
Aux timides aux joyeux drilles
Donne des élans amoureux
Auprès de nos aimables filles
Qui fait qu’ils ont autant d’ardeur
Tant d’éloquence auprès des belles
Qu’ils triomphent des plus rebelles
Rien qu’avec un petit regard séducteur ?
—
Refrain
En voici un extrait musical et une partition.
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