La mémoire collective souvient de la révolte des viticulteurs du Midi, en 1907, victimes de la surproduction et de la baisse des cours, et immortalisée par les héroïques soldats du 17ème régiment d’infanterie qui refusèrent de tirer sur la foule.
Elle a moins retenu celle des « cossiers« , ces vignerons champenois qui reprochaient (les marnais) aux grandes maisons de champagne de s’approvisionner en raisin hors de la zone d’appellation, ou qui souhaitaient (les aubois) y avoir accès.
Gaston Couté a chanté ces luttes : Le beau geste du sous-préfet, Cantique à l’usage des vignerons champenois, Ces choses-là, Au Vigneron Champenois, le Nouveau crédo du paysan, parus dans le journal anarchiste La Guerre Sociale. On ne s’étonnera pas de la tonalité révolutionnaire de ces chansons !
Aujourd’hui, voilà c’ qui s’ pass’ dans la Marne
D’après les dernièr’s nouvell’s des journaux :
Au sac des celliers la foule s’acharne
Brisant les bouteill’s, crevant les tonneaux ;
Les ruisseaux débord’nt de flots de champagne
Et les vign’s avec leurs grands échalas
Sont comm’ des bûchers au cœur des campagnes…
On peut trouver les paroles de ces chansons sur le site de Mediapart.
Bon paysan dont la sueur féconde
Les sillons clairs où se forment le vin
Et le pain blanc qui doit nourrir le monde,
En travaillant, je dois crever de faim ;
Le doux soleil, de son or salutaire,
Gonfle la grappe et les épis tremblants ;
Par devant tous les trésors de la terre,
Je dois crever de faim en travaillant !
Bien moins connues sont les émeutes qui étaient l’ordinaire d’un Ancien Régime où les « taillables et corvéables à merci » ne baissaient pas toujours la tête devant les « commis des fermes » et représentants de l’autorité. Des chercheurs ont eu la bonne idée de mettre en ligne une base de données des ces révoltes ordinaires, Hiscod (Historical Social Conflict Database). Le Bon Clos en a sélectionné quelques unes…

Ainsi à Clamart le 5 octobre 1749
« 7 ou 8 particuliers dans les bois s’enfuient à l’approche du garde de la Varenne du Louvre. Celui-ci dans le village est poursuivi par 60 individus menaçants. »
et à Auvers sur Oise le 22 janvier 1752
« Trois commis aux Aides qui surprennent un vigneron vendant à »Muchepot » sont assaillis par six »particuliers » et d’autres encore. Ils se sauvent dans la nuit, menacés par des groupes »ameutez », criant »tue, tue ces bougres là ». »
Sur 10 000 faits relatés, quelques 200 sont relatifs au vin, ce sont la plupart du temps des actes de résistance aux contrôles et à la levée des taxes. Les archers, commis des fermes et représentants de l’autorité se voient pourchassés, parfois même occis, par une « populace » furieuse.
Émeute à Lyon en avril 1669
« Soulèvement de femmes (500 à 600) de La Croix Rousse. Elles repoussent les archers placés aux portes par les fermiers des aides pour empêcher l’entrée du vin en bouteilles. L’une d’elles agite une feuille de papier blanc au bout d’un bâton en guise de drapeau. Tambour. Les archers ont tiré sur la foule qui les a poursuivis jusqu’au corps de garde. »
Émeute à Ancenis le 2 octobre 1724
« Vente clandestine de vin. Trois cordonniers transportant du vin sont appréhendés. Émeute. Dans cette »populace en furie », les commis reconnaissent un tailleur d’habits, un potier d’étain, un marchand. »
Émeute à Laval-Pradel le 15 août 1755
»Les commis [de l’équivalent] sont insultés dans toutes les villes et lieux de la province, à tel point que la plupart ne peuvent point faire leurs fonctions, à cause des émotions populaires qui se forment à la première venue des employés, ce qui est déjà arrivé plusieurs fois, en divers lieux de la province », dit le fermier général de l’équivalent à propos de la présente affaire. Le 15 août, jour de fête balladoire à Laval, deux commis d’Alais qui faisaient leur fonction passent, à l’Habitarelle, devant la maison d’Arbousset, fermier de Mr Delouze de Troilhas. Ils y trouvent un grand nombre de buveurs, devant la maison, dans la basse-cour et à l’intérieur (60 rien qu’à l’intérieur). Arbousset dit vendre du vin de son cru, mais refuse de montrer son bail de fermage. Les commis veulent saisir trois tonneaux dans sa cave. Dehors »rumeur séditieuse », signes et invectives contre les commis. Arbousset saute sur l’un des commis, à coups de poings, et excite les buveurs contre eux. Armés de barres et de bâtons, les buveurs désarment les commis et les frappent, après avoir fermé les portes de la basse-cour. Un des commis est blessé à la tête. Les violences continuent jusqu’à ce que les commis crient »mercy ». On les laisse alors partir. Le cabaretier d’occasion prétend qu’il n’y a eu aucune violence : seul le commis a tiré son épée. Pourtant le verbal du chirurgien décrit trois grosses plaies sur la tête… »
Mais il y aussi des fêtes sauvages, comme à Castellane le 18 août 1726
« Paroisse du diocèse de Senez. Selon Achard Dictionnaire de la Provence et du Comté-Venaissin. . , les habitants »aiment bien le vin et le jeu ». Dès le samedi soir 17 août, tapage de la jeunesse, en dépit des interdits : on danse avec éclat, même sous les fenêtres du curé autour de la chapelle. Le dimanche 18, coups de fusils, tambour, »hurlements folastres ». En dépit de l’intervention du curé et du consul, cela continue. L’après-midi, les jeunes gens se répandent autour de l’église. Vêpres pertubées par ces »libertins ». »Dans les divers tours et retours auprès de l’église, un des danseurs y entra en dansant et prenant l’aspersoir bien trempé dans l’eau sainte, en asperge avec bouffonerie tous les danseurs, comme faisaient autrefois les païens dans leurs fêtes baccanales ». Les habitants proclament que »ni curé ni évêque ne les empêcheroient jamais de danser ses jours-là… ». Selon la requête du procureur du roi de Castellane au lieutenant criminel, cet attroupement a été concerté par »un complot de révolte contre l’église ». Tapage dès le samedi à l’entrée de la nuit, puis le dimanche de grand matin et encore après vêpres. Tumulte. Insolences. »
ou encore à Franconville le 26 janvier 1777
« Cinq commis des aides entrent dans une maison où on chante et boit du vin rouge. Ils verbalisent. Se font insulter. Coups, violences. Les femmes appellent à la fenêtre : au feu ! Au voleur ! Rébellion ouverte, affluence, tocsin. Les commis s’enfuient. »
ou à Saint-Jean-sur-Reyssouze le 24 juin 1779, où manifestement il y avait de l’eau dans le gaz au sein des autorités.
« La bailli de justice de cette »terre » veut empêcher de danser et de donner à boire dans les cabarets. Il est bousculé par la foule, et les 4 cavaliers de maréchaussée présents sur les lieux refusent »avec dérisions » de lui prêter main forte. L’autorité mise en cause en celle de la seigneurie de Bagé (marquisat). Noter que l’on conteste ici l’autorité des gardes de la terre, dont on condamne les violences. Le dimanche 4 juillet 1779 à la sortie de la messe, il semble que 2 cavaliers de la maréchaussée auraient, après une enquête sommaire, verbalisé contre les gardes. Le 25 juillet [?] dans la paroisse de Bereziat, même marquisat, les cavaliers auraient toléré le débit de vin jour et nuit. »
Nantes et sa région semblent particulièrement remuants, les commis n’osent plus se risquer dans certains quartiers.
Émeute à Nantes le 27 mai 1728
« Visite de contrôle des commis chez une lingère du quartier du Marchix qui vendait clandestinement du vin. Intervention des gens du quartier : portefaix, garçon tailleur, jardinier. Les soldats appelés à la rescousse sont eux-mêmes agressés violemment. Les personnes arrêtées sont toutes de la même famille. L’émotion est telle que deux détachements de soldats doivent intervenir. Les commis estiment ne plus pouvoir aller au Marchix (faubourg de Nantes) »attendu les rébellions et attroupements continuels qui s’y commettent, sans risquer leur vie. »
Émeute à Nantes le 26 juin 1743
« Un homme portant des bouteilles de vin est appréhendé. Soulèvement du quartier de Biesse. La »populace » est encouragée par les bourgeois. Les commis assaillis cherchent refuge chez une marchande de toile qui les repousse les traitant de gueux, fripons, misérables et coquins de maltôtiers et criant à la populace : il faut assommer ces coquins là. »
La justice ne donne pas toujours raison aux commis…
Émeute à Nantes le 9 avril 1787
« Après l’émeute du 8 avril, les commis retourne à la [?] de la Madeleine. Là, ils remarquent que des gens dansent et boivent du vin. En réponse à leur interrogatoire, le quartier se rassemble et les agresse. Les commis réussissent à se sauver mais ils sont poursuivis. L’émeute devient générale, on va jusqu’à échanger des coups de feu. Les commis réfugiés dans leur bureau doivent être protégés par la maréchaussée. L’émeute a lieu le jour de Pâques. Il s’agit là de l’affaire la plus importante. À l’issue d’une longue procédure, les commis sont condamnés à payer de lourdes amendes aux blessé et aux médecins : au total près de 6000 £. D’autre part, il est enjoint aux commis de se »comporter à l’avenir avec sagesse et circonspection dans l’exercice de leur état, inhibition et défense leur est faite de porter des armes à feu, si ce n’est dans le seul cas de l’article 79 du bail des Devoirs comme aussi de causer et occasionner de quelque manière que ce soit des troubles et des émotions parmi les citoyens et de commettre aucun excès vis à vis d’eux ». »
L’ami Jean Edern avait-il eu vent de cette chasse aux gabelous au château de la Boixière le 9 juin 1675 à Briec ?
« 700 à 800 hommes des paroisses voisines se rendent à Briec et obligent 2 recteurs à marcher avec eux sur le châteaude la Boixière, à la recherche des gabeleurs. Ils recherchent aussi le Sr de Keranstret, seigneur du lieu et d’autres notables. Menaces de feu. Le soir, dans le bourg, nouvelles menaces contre les gabeleurs. Vin bu, écuries brûlées, idem grange, pillage. Tocsin à Quéménéven. »
A ce petit jeu, ce ne sont pas toujours les mêmes qui perdent et les peines pour les émeutiers peuvent être lourdes : amendes, prison, mise au carcan, fouet, bannissement, potence…