Voilà un vieux débat dans lequel nous fait replonger un livre paru en 1712, adressé par notre amie Sabine : recueil de poésies latines et françaises sur les vins des Champagne et de Bourgogne.
Il traite sous forme poétique d’un débat vieux comme le vin. Déjà dans la bataille des vins (1224) le roi Philippe avait fait mander des messagers pour faire venir à lui des vins de toutes origines, afin de savoir quels étaient les meilleurs. (H)Auviler(s), Biaune, Chablies, Espernai sont parmi les concurrents. Mais au XVIIème siècle le conflit s’envenime…
Le Recueil contient plusieurs odes, une requête, un « décret », une lettre enfin, écrits en vers latins avec leur traduction en vers français, que se sont amusés à s’adresser des personnages fort sérieux, MM. Grenan et Coffin.
Il est intéressant de constater qu’à cette époque (début 18ème), le Champagne est clairement effervescent, que la bière et le cidre sont tenus en piètre estime, au même titre que… le vin d’Ivry!
L’Avertissement du Recueil propose un mise en scène mythologique. Il nous apprend tout d’abord qu’en 1652, le bachelier en médecine de la faculté de Paris d’Arbinet avait pris parti dans sa thèse pour le Bourgogne. Les Champenois ne pouvaient en rester là, et en 1700 les Médecins de Reims soutinrent que le vin de Reims était meilleur et plus sain que le Bourguignon. Suivit en 1705 une lettre opposée d’un Médecin de Beaune à un parlementaire de Dijon.
C’est là qu’interviennent les Muses, buveuses d’eau comme on sait. Apollon les fit boire, nous dit-on, et il se trouva que seule parmi neuf, Erato prit le parti du Bourgogne. Il faut dire qu’après deux verres de ce vin, elle tomba de sommeil, et ne goûta pas le Champagne, au contraire de ses soeurs. Elle inspira une ode latine, Vinum Burgandum à Benignus Grenan, professeur au Collège d’Harcourt, que de Bellechaume mit en vers français :
« …Tu remplis d’un baume innocent
Et jamais le Chimiste habile
Ne fit d’essence plus subtile
Ni de remède plus puissant »
Les autres Muses, qui après avoir bu des deux vins avaient toutes préféré celui de Champagne, répondirent illico par une autre ode, Campania Vengata (la Champagne vangée) (sic),
que signa Charles Coffin, alors professeur au Collège de Beauvais, également mis en vers français par de Bellechaume.
… En couleur ton Nectar excelle
Comme un diamant précieux
Dont le vif plait, change, étincelle
Et tout d’un coup ravit les yeux.
En odeur il est un essence
Dont les esprits vont par avance
Saisir doucement l’odorat ;
Qu’il forme une agréable image
Lorsque dans un mousseux nuage
On voit qu’il reprend son éclat !
…
Des vins fameux il est l’élite
Qui couronne les grands repas.
Beaune je prise ton mérite
Mais que sur toy Reims ait le pas.
La chute est sévère pour la Muse qui est invitée à
boi(re) du limon de Normandie / Ou que ta langue trop hardie / Ne goûte que du vin d’Ivry.
Isolée, Erato (Grenan) se tourne alors vers Esculape (un certain Fagon, médecin du Roi, connu pour avoir imposé le Bourgogne face au Champagne à la table de Louis XIV) ,
lui adressant une Requête ( la troisième pièce du recueil)
« Enflés du même orgueil tous ses vins bondissants
N’élèvent que des flots écumeux, frémissants :
Leur liqueur furieuse, inconstante et légère,
Etincelle, pétille et boût dans la fougère… »
Esculape, ravi de se venger sur les Muses d’un coup de foudre reçu de leur Père (Jupiter), donne l’ordre à tous les Médecins du monde de tenir pour le Bourgogne contre le Champagne. Suit un Décret sans complaisance de la Faculté de Médecine de l’île de Cô :
Entend que la honte accompagne
Partout l’orgueilleuse Champagne ;
A ses Vins pleins de faux appas
Défend l’entrée en tout repas ;
Ordonne que leur seve plate
Dorénavant n’ait rien qui flatte ;
Que le Cidre soit plus brillant
Le Vin d’Ivry plus excellent
Que qui les flaire, ou qui les goûte,
D’abord soit atteint de la goutte…
…Comme un flamand buveur de bière
Qu’il soit plongé dans la matière…
Le recueil se termine par une dernière lettre des Muses, cherchant à calmer le jeu. La voix de la raison ?
Un franc Bourguignon se fait gloire
D’être avec un Rémois à boire
Ils sont tous deux bons connaisseurs
Et ne sont pas moins bons buveurs.
Et voici une conclusion qui devrait faire consensus :
Beau Sexe à qui des deux donnez vous la victoire ?
En tout votre goût est divin.
Beaune et Reims aujourd’hui se disputent la gloire
D’avoir le plus excellent vin.
Doux et charmants objets de notre complaisance
Déclarez nous lequel a pour vous plus d’attraits
Celui qui sur vos coeurs a le plus de puissance
Est celui qu’avec vous nous boirons à longs traits.
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