Heureux qui comme Senard

… lit dans le texte Horace !

Le 29 juin dernier, nous assistions à la remise du prix Rabelais de l’Académie du même nom à Charles Senard, un éminent latiniste, pour son livre Carpe Diem.

C’est un livre à lire, plein d’enseignements et de poésies. L’amateur de vin ne doit pas filer tel l’éclair au chapitre 9 (le vin du souvenir), mais au contraire cueillir chaque page… Et l’on verra que le vin est au centre de la philosophie sous-jacente, celle d’Epicure.

Carpe Diem : cueille le jour, profite de chaque instant, car le temps fuit…  » Sois sage, filtre (apprête) tes vins « 

Cette injonction figure dans une Ode d’Horace et s’adresse à Leuconoé, une femme invitée à se libérer pour se concentrer sur le jour présent. Le contexte de cette ode est celui du banquet et du plaisir du vin, nous dit Senard.

Horace, grand poète romain, ami de Mécène, contemporain d’Auguste, n’eut de cesse de propager l’enseignement d’Epicure, philosophe grec de 3 siècles son aîné, dont l’Ecole, le Jardin, fit florès pendant 6 siècles.

A la question : comment mener une vie heureuse ? L’épicurisme répond par une certaine ascèse qui n’empêche pas l’épanouissement de la sensualité et préserve la capacité à jouir de l’existence et de ses plaisirs. Car « Le plaisir est le principe et la fin de toute vie bienheureuse ».

Mais les désirs illimités sont source de frustration ; tout plaisir n’est donc pas à rechercher, il faut les trier : les naturels et nécessaires, les naturels non nécessaires, les ni naturels ni nécessaires.

Il faut donc, par un raisonnement sobre, anticiper les effets de l’accomplissement du désir, bénéfiques ou maléfiques.

Sont nécessaires au bonheur : l’amitié et la philosophie

« la voix de la chair » contre la faim, la soif, le froid, est nécessaire à la bonne santé du corps, voire à la vie. Le vrai plaisir est déjà dans cette sortie de la douleur, le reste n’est qu’une question de variation.
La pratique de la sobriété permet de mieux aborder les difficultés qui peuvent survenir.
L’enrichissement, la gloire et sa rançon, la soif du pouvoir, sont des désirs non nécessaires.
Le désir sexuel est naturel, mais non nécessaire (cela reste très débattu) ; et que dire de l’amour-passion et de ses dégâts…

Au delà des plaisirs immédiats, nécessaires à la vie, l’amitié est donc le principal plaisir, avec sa pratique de la conversation amicale, orale ou écrite ; le voyage entre amis, le symposion (banquet) enfin, où l’on boit ensemble, dehors ou dans un jardin. Elle se manifeste par exemple en faisant boire à un ami un vin de son année de naissance ou d’un moment important de son existence…

« saisissons, mes amis, l’occasion que nous offre cette journée… Toi, apporte nous des vins pressés sous le consulat de mon cher Torquatus (année de naissance du poète) » (Horace)

ou encore, accueillant son ami et bienfaiteur Mécène,

Tu boiras un vin de Sabine bon marché dans de modestes coupes, vin que j’ai moi-même enfermé dans une amphore légère, quand au théâtre tu reçus des applaudissements, cher chevalier Mécène..

Mieux vaut boire un vin bon marché avec un ami cher, qu’un très bon vin avec des convives indifférents, conclut Senard.

Aussi, le vin est-il présent dans les célébrations. Ainsi, après la victoire d’Auguste à la bataille d’Actium :

« Nunc est bibendum… Maintenant  buvons. Auparavant il était sacrilège de tirer le Césure (fameux vin de Campanie) du cellier des aïeux…« 

15 siècles plus tard, Lorenzo Valla fait dire à un épicurien dans « Sur le plaisir » :

« O vin, père de la joie, maître des plaisirs, compagnon des heures heureuses, consolateur dans l’adversité ! Tu présides toujours les banquets, toi le guide et le chef des noces ; toi arbitre de la paix, de la concorde et de l’amitié, père du sommeil le plus doux, restaurateur de la force dans les corps éreintés, le cultivateur comme le dit Virgile, le libérateur de l’inquiétude et du souci. Faibles, tu nous rends forts ; timides, audacieux ; silencieux, éloquents.

Mais la modération est de mise (« Tout est affaire de mesure ».)

« ce ne sont point les banquets et les parties de plaisir qui se suivent les unes après les autres, ni les jouissances amoureuses…,ni tous ces plats qui garnissent une table somptueuse, qui produisent la vie heureuse » (lettre d’Epicure à Ménécée).

Quant à la peine, c’est la force du souvenir qui permet de revivre les bons moments, de supporter la peine.

Quant à la mort, un faux problème ; plus de sensation, donc plus de souffrance. Avant de mourir Epicure « serait entré dans une baignoire d’airain remplie d’eau chaude et aurait demandé du vin pur » (Diogene Laërce).

Cet enseignement ne pouvait que déplaire aux religions de l’au-delà. Il fut décrié, caricaturé, et il fallut attendre la Renaissance pour que les humanistes (Valla, Pontano, Erasme, Montaigne…) redécouvrent l’épicurisme et ses thuriféraires.

Quelle meilleure mise en oeuvre de cet enseignement que la remise du prix Rabelais aux Noces de Jeannette ce jeudi 29 juin : amis s’entretenant de toute part, vins frais, gouleyants de nos amis vignerons du Beaujolais, plateaux de charcuterie et de fromages exquis…

Merci à tous ceux qui ont oeuvré pour ce bel événement !

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